XII

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Des pas dans l'appartement et le vrombissement sourd de la machine à café tirèrent Seiji de son sommeil. En explorant à tâtons son entourage, il reconnu la chaleur de son lit et l'inconfort des vêtements de la nuit qui lui collaient encore à la peau.
Il cru d'abord en la présence de sa sœur dans l'ombre qui passait devant la porte de sa chambre, mais lorsque ce fut une voix masculine qui décrocha à une sonnerie qui lui était inconnue, il fit un bon hors des draps manquant de trébucher. La lumière l'aveugla un instant, avant qu'il puisse finalement discerner la silhouette de Sawada, debout devant le comptoir de sa cuisine, les cheveux en bataille. Visiblement en pleine conversation téléphonique, il salua le chasseur d'un geste de main et d'un sourire amical. La mâchoire de Seiji s'étira en grand tandis que ses jambes le traînaient péniblement jusqu'à un siège de bar quelques mètres plus loin. Devant lui se glissa une tasse fumante d'un café noir dont l'odeur délicieuse capta entièrement l'attention du jeune homme. Ce qu'il y avait de plus envoûtant que l'odeur d'un café chaud au réveil, ce devait être la personne qui lui avait glissé sous le nez. Ses doigts froids entourèrent la faïence de la tasse et la chaleur inonda alors ses mains hésitantes.

Sawada raccrocha enfin et vint se tenir en face de Seiji toujours en arborant son éternel et radieux sourire.
  « Bien dormi ?
Le chasseur bâilla de nouveau.
  - Pas assez... Il se mit à rire. Pas très professionnel de dire ça à son patron.
  - Oubliez un peu le patron, je n'ai pas eu mon compte non plus.
  - Quel jour on est ?
  - A ce point-là ? Mardi que je sache.
  - Mardi ?
Il se retourna et posa ses yeux sur l'horloge dans son dos. Il manqua de peu de recracher entièrement le contenu de sa tasse
  - Neuf heures passées ! Vous auriez dû me réveiller, paniqua-t-il en s'agitant.
  - Seiji, calmez-vous, c'est férié aujourd'hui.
  - Ah ?
Le chasseur laissa échapper un soupir de soulagement.
  - J'aurais vraiment culpabiliser d'arriver autant en retard...
  - Et moi de vous réveiller, ajouta Sawada. Vous vous êtes endormi sur moi, je vous ai porté jusque dans votre lit.
  - J'ai l'impression d'être l'invité de mon propre appartement, avoua honteusement Seiji. Désolé que vous ayez eu besoin de vous occuper de l'enfant que je suis. Pourquoi vous n'êtes pas rentré chez vous après ?
  - J'ai essayé, ma voiture refusait de démarrer, et vu l'heure, il n'y avait probablement plus de train qui circulait. J'espère que ça ne vous dérange pas que j'ai investi votre canapé le temps d'une nuit.
  - Pas le moins du monde, vous n'étiez même pas obligé de dormir dans le canapé.
  - Vous pensez à voix haute.
  - Ah ! Pardon ! Il n'y avait aucune arrière pensée, vraiment, rougit Seiji.
  - Je ne fais que vous taquiner, rit l'autre homme, pas d'arrière pensée !
  - Je commence à douter de votre taquinerie.
  - Je vais aller essayer de démarrer la voiture, je reviens dans un instant.
  - J'ai le droit de prier pour qu'elle ne démarre pas ? Sans arrière pensée, naturellement.
  - Finissez donc votre café », ricana Sawada.

Cette fois, la voiture avait bien voulu démarrer.



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Tsukauchi avait des yeux partout, un regard foudroyant de ses deux globes omniscients. Un mouvement de tête, un rictus, une dilatation de pupille, rien n'échappait jamais à sa vigilance.

Sauf Seiji.

Il avait disparu de son champ de vision, même entre les ramettes de papier entassées les unes sur les autres, il ne voyait plus les traits de son faciès.

Si Sawada s'en apercevait, et il s'en apercevrait sans doute, le sermon de son supérieur serait son dernier.
« Tsukauchi ?
Sa voix grinça dans son dos.
- Tout va bien ? Tu as perdu quelque chose ?
- N-Non, non, rien en particulier.
- Laisse-le un peu respirer, sourit son supérieur.
- Pardon ? lâcha le jeune homme déconcerté.
- Seiji. Il est à la machine à café, il a besoin de quelques minutes de répit.
- Ah ? J'en fait tant que ça ? Soupira Tsukauchi dans son hésitation.
- Moi je n'ai rien à te reprocher, tu fais ton travail. Mais Seiji a un caractère assez solitaire et difficile à saisir. Je pourrais en dire de même pour toi. Essaie de sympathiser avec lui, au lieu de l'intimider. »
Il l'avait dit sur le ton de la plaisanterie, son éternel sourire venu courber ses lèvres.

Sawada avait une façon bien à lui de dire les choses, autant que Tsukauchi avait une façon bien à lui de cacher ce qu'il avait à dire.

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