III

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Le temps, c'était bien ce dont Seiji pouvait abuser volontiers, mais la patience manquait. Le chasseur désirait plus que tout pouvoir oublier, faire abstraction l'espace d'un instant de ses tracas les plus profonds.

Plongé dans un roman, il ne guettait plus les allées et venues des passagers du métro. La lecture n'était pas d'ordinaire l'un de ses passe-temps favoris, mais elle était la bienvenue en cette période difficile. Seiji s'était même découvert un goût certain pour un auteur à la mode, une femme vraisemblablement, qui écrivait principalement à propos de sujets sombres, plutôt des crimes passionnels mêlés à de la romance obscure. Sans oublier la touche d'amour liée à des scènes explicites délicieusement corsées, évidemment. Une légère secousse remua le métro et Seiji perdit sa ligne. Le train s'arrêta et ouvrit ses portes à d'autres actifs remués par une vie tumultueuse, placée sous le signe du travail et de l'acharnement. Notre chasseur ne connaissait que trop bien ce monde, ces quartiers d'affaire plein à craquer d'hommes en costume et de femmes en tailleur. Il regarda quelques individus monter dans le métro avant de se laisser à nouveau absorber par son livre. Une voix, cependant, l'interpella en pleine lecture.
 « Excusez-moi, ça vous dérange si je m'assois là ? Il n'y a plus de place ailleurs.
Seiji leva la tête et ses yeux restèrent ébahis, fixés sur le visage d'où provenait la voix : son inconnu.
 - N-Non, je vous en prie.»
Il débarrassa ses affaires du siège et disparu entre les pages de son livre, afin que l'autre ne le voit pas rougir. Bien qu'il s'en forçait du mieux qu'il le pouvait, Seiji ne pouvait empêcher son regard d'admirer la physionomie si délicate du visage de son homme. Jamais chance pareille ne se présenta, mais les mots ne venaient pas. "Et s'il me trouvait étrange ?" La honte l'avait submergé, mais le désir de lui parler était tellement fort qu'il en tremblait, son sang bouillonnait dans ses veines et ses yeux ne voyait plus que ceux de cet homme, objet de toutes ses fascinations.
 « Vous savez que c'est très intimidant que de se sentir ainsi observé, ria l'inconnu.
Seiji sursauta et ne put retenir le fléau de l'embarras de faire virer ses joues au rose pivoine.
 - Je... Je suis désolé, ce n'est pas très correct de la part d'un homme, n'est-ce pas ?
 - Cela fait un moment que j'ai remarqué. Jamais vous ne cessez de me regarder.
 - Ah... euh... Comment avez-vous su ?
 - Tiens, j'avais raison ? A vrai dire j'espérais ne pas m'être trompé de personne..., sourit gentiment l'homme. Vous descendez au même arrêt que le mien n'est-ce pas ?
 - Oui, pourquoi ?
 - Je ne sais pas si c'est vraiment poli de vous demander ça, étant donné que l'on ne se connaît pas vraiment, mais que diriez-vous d'aller boire un verre ?
 - Eh bien... J'accepterai avec plaisir, mais j'ai beaucoup à faire en ce moment, navré.
 - Je vois, acceptez au moins ma carte et rappelez-moi si la proposition vous tente toujours.»
L'inconnu tendit un petit morceau de papier cartonné blanc. La première chose que Seiji remarqua n'était pas le nom tant convoité de son inconnu, mais plutôt le nom de sa compagnie. Il était l'un des employés de l'entreprise adverse à la sienne. La boîte la plus vendeuse de Tokyo, dont les chiffres de ventes exorbitants lui valaient une immense réputation auprès de ces dames. Mieux encore, il n'en était pas un simple employé, mais l'un des directeurs commerciaux. Devant une telle stature, Seiji se sentit soudain terriblement minable. Non seulement cet homme était, disons-le, tout à fait séduisant, mais en plus il était parmi les individus les plus haut placés dans une des plus grosses sociétés Japonaises.
Seiji donna sa carte en retour, et la surprise fut la même pour l'inconnu.
 « Qui l'eut cru ? Nous travaillons pour deux sociétés diamétralement opposées, lâcha ce dernier.
 - Je n'en ai plus pour longtemps dans la mienne. Mais, information confidentielle, je ne délivre pas ce genre de choses à l'ennemi, ricana Seiji.
 - Oui en effet, mais en dehors du contexte du travail, rien ne nous empêche de bien nous entendre, sans, bien entendu, que les secrets de nos deux entreprises respectives soient révélés.
 - Pourquoi pas. Je réfléchirais à votre proposition.
 - Vous savez où me contacter si vous êtes intéressé.»
L'inconnu se leva et se dirigea vers la porte un peu plus loin.

Le temps, bien que notre chasseur pouvait s'en jouer à sa guise, celui-ci s'apprêtait à jouer avec Seiji comme lui l'avait fait toute sa vie. Son cœur s'était allégé et embaumé dans une volupté délicieuse, le désir de conquête brûlait plus vivement encore dans son esprit et tout son corps. Corps qui ne voulait que sentir le parfum, embrasser l'aura, saisir à pleine main les épaules fines de cet homme mystérieux, arracher à ses lèvres un baiser dont la pensée faisait frissonner Seiji.

AgapéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant