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Elle se tenait là, derrière la porte à attendre que l'on se décide à lui ouvrir. Elle ne savait peut-être même pas que Seiji l'épiait depuis l'intérieur. La jeune femme tenait un petit sac à son bras, aucun autre bagage ne l'accompagnait. Avant même de vouloir savoir pourquoi elle avait bien pu décider de se présenter en toute innocence devant sa porte, il se demandait déjà comment elle avait obtenu son adresse. Néanmoins, quoi qu'il aurait pu en dire, sa sœur s'était postée devant chez lui, pour une raison qui lui était parfaitement inconnue.
Il hésita longuement avant de lui ouvrir, sa main avait entouré la poignée mais il lui fallut plus de temps pour la pousser vers le bas et libérer le verrou. Elle sursauta au moment où la porte se mit à bouger. Ses paumes se resserrèrent sur l'anse de son sac tandis que Seiji déglutit et souffla une dernière fois. La jeune femme dévoilait son visage qui arborait un mélange indécis de honte et de surprise. Ses lèvres n'osèrent pas articuler le moindre mot et son corps ne fit que s'abaisser pour le saluer. Pour ne pas mentir, elle craignait que son frère ne referme la porte d'un geste méprisant, la renvoyant chez elle par la plus froide des manières. Mais il n'en fut rien, il invita simplement sa sœur à entrer. Cette dernière s'engouffra dans l'appartement sans poser les yeux sur son hôte, fuyant presque son regard terrifiant. Seiji s'était montré courtois, sa courtoisie cachait la colère que lui inspirait cet être féminin qui autrefois avait été sa sœur. Au même titre que ses parents, elle lui avait tourné le dos, rejeté sans vergogne, sans explication. Lorsqu'il avait quitté sa famille, les derniers yeux qui avaient croisé les siens furent ceux de sa jeune sœur, qui le dévisageait d'un regard sombre. Il n'avait rien demandé de plus et s'était simplement écarté sans jamais se retourner. Les choses n'avaient guère évolué depuis. Il était incapable de dire si cette visite allait changer quoi que ce soit.

Elle avança encore un peu plus et s'arrêta au milieu du salon. Que pouvait bien abriter son esprit à cet instant. Seiji lui faisait dos, la simple position de ses maigres épaules lui suffit à imaginer l'expression de sa sœur. Un parfait condensé de haine et de dégoût qui devait la faire trembler en son for intérieur. Elle posa son sac sur l'un des fauteuils et plaqua ses mains sur son visage. Quelques mots qu'elle marmonna vinrent se loger dans le creux de ses paumes, avant qu'elle ne fasse de nouveau face à son frère. Elle s'excusa, pour une raison obscure. Seiji n'osa rien dire, il n'en avait pas envie.
  « Je ne suis pas en position de m'excuser, mais je le fais quand même. J'ai quitté la maison et je n'ai rien dit aux parents.
  - Tu es venue pour quoi ? M'enfoncer encore plus ?
  - Loin de moi l'envie de le faire, je ne suis pas là pour ça. Si j'ai ta permission, laisse-moi t'expliquer.»
Des explications, il ne demandait que ça. Si la distance qu'il entretenait entre elle et lui ne l'avait pas retenu, il les aurait déjà réclamées. Il désirait savoir, mais craignait tout autant ce qu'il s'apprêtait à entendre. Il l'invita à s'asseoir et s'installa près d'elle, à distance raisonnable. Elle débuta péniblement son récit, elle butait sur les mots malgré le calme dont elle faisait preuve. Elle n'avait probablement jamais été aussi nerveuse.

Elle était partie de chez elle, laissant tous ses biens derrière elle. La jeune femme disait avoir fui l'oppression de sa famille, ses parents avaient perdu pied et déliraient de plus en plus. Ils n'avaient plus que leur fils à la bouche, l'humiliation qu'ils avaient essuyé à cause de son homosexualité. Lorsqu'elle les citait, ses mots étaient durs et secs. Seiji s'imaginait parfaitement sa mère tenir de tels propos, mais dans la bouche de sa sœur, cela paraissait plus douloureux encore. Elle en souffrait également, ne parvenant plus à supporter le regard plein de haine de la femme qui l'avait élevée.
  « Je ne supportais plus qu'après 9 ans, ils ne parviennent pas à accepter l'homme que tu es devenu, poursuivit-elle. J'ai décidé de partir, sans rien leur dire.
  - Ce n'est déjà plus de mon ressort de m'occuper de ces deux ermites acariâtres, je les ai effacés de ma vie et je n'ai pas l'intention de renouer avec mon arbre généalogique, Mako.
  - Je ne dois représenter qu'un problème de plus à tes yeux.
  - Comment tu as eu mon adresse ?
Seiji essayait de détourner la conversation. Il avait eu sa réponse et ne demandait pas à en entendre plus. Il en avait déjà plus qu'assez.
  - Je suis passée à ton bureau. J'ai dû convaincre la moitié de ton département que j'étais bien de ta famille, presque au point de me convaincre moi-même d'un quelconque lien que j'aurais oublié, sourit la jeune femme. Ils ont ensuite accepté de me dire où tu vivais. J'ai sûrement eu tort.
  - Je n'ai pas dit ça. J'ai juste été pris au dépourvu.
  - A n'en point douter. Mais si j'avais appelé, tu n'aurais jamais répondu.
  - Effectivement.
  - Shima, je suis sincèrement navrée. J'ai été ignoble.»
Seiji n'eut pas le temps de répondre, les larmes avaient déjà perlé ses joues rosies par le froid. Elle sanglotait à chaudes larmes, torturée par son passé et ses souvenirs. Renier son frère n'avait pas été un choix, et aujourd'hui, elle le regrettait amèrement.
  « Je n'ai pas eu mon mot à dire, j'ai été forcée, ils m'ont obligée à te tourner le dos. J'en suis tellement désolée...»
Le jeune homme l'avait prise dans ses bras, tentant tant bien que mal de la consoler et de sécher ses larmes. Il ne l'avait jamais vue dans un tel état. En vérité, il ne l'avait même pas imaginée pleurer pour son frère un seul instant. Il se sentait aussi mal qu'elle, il l'avait toujours vue comme une pâle copie de ses parents, aussi insensible et froide qu'eux, et pourtant elle était là à pleurer et à s'excuser. Il redécouvrait une partie de son passé, et constatait avec désarroi l'erreur qu'il avait faite et toujours ignorée.

AgapéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant