Episode 3

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Lil' était allongée sur son canapé. Elle fixait une fissure qui ressemblait à un oiseau sur le plafond. Sa respiration battait jusque dans ses tempes. Le simple fait de réfléchir la fatiguait. Elle n'avait pas dormi. Les poches sur ses yeux étaient horribles. C'était encore pire que ce qu'elle avait imaginé. Noirs et jaunâtres. Ses pensées se tournaient vers ce qu'elle subira le lendemain, la semaine, le mois et tout le reste de sa scolarité. Elle avait compris que ce que les élèves appelaient "la fake fusillade" avait été mise en place pour la défendre. Mais en réalité la situation allait s'aggraver. Et puis maintenant tout le monde parlait de la gifle de Brooke. Le lien s'était vite fait. Elle était ressortie dans le tourment du moment. Lil' avait surpris des statuts sur facebook. Les gens parlaient de "l'autre" qui avait tout balancé sans penser au malheur qu'elle s'était amené. Elle n'arrivait pas à déterminer si son identité avait été masquée parce qu'ils l'ignoraient ou parce qu'ils avaient décidé de la lui retirer. 

La clef tourna dans la porte d'entrée ouverte déjà. Son propriétaire grommela en remarquant son geste inutile. Lil' reconnut la voix rauque. Elle sauta par-dessus le canapé et courut se cacher dans sa chambre. Si son père la voyait avec le coquard, il lui ferait payer. Peut-être pas finalement, il s'en fichait de plus en plus d'elle. Et puis il était peut-être trop saoul pour le voir. Tout de même, il ne fallait pas prendre le risque.

Brody se cogna contre tous les meubles avant d'atteindre la chambre de Lil'. Il ouvrit à la volée la porte. Sa fille était tournée contre le mur. Son visage était caché par la couverture. Brody marmonna :

« Tu dors ?

-Il est six heures.

-Ah ouais.»

Brody referma la porte aussi brutalement qu'il l'avait ouverte. Au moins il prenait des nouvelles. Lil' attendit de l'entendre s'effondrer dans le canapé. Bientôt son ronflement fit vibrer les murs de la maison. Elle s'extirpa de son lit. Le sac à dos sur l'épaule. Brody se retourna sur le canapé pendant qu'elle franchissait la porte d'entré :

« Tu sors ?

-Il est huit heures.

-Ah ouais. »

Lil' était exaspérée. Elle claqua la porte recevant des dizaines d'insultes. Son vélo était à moitié sous la voiture de son père. Vraiment Brody n'avait toujours pas été arrêté pour conduite en état d'ébriété. Elle ne prit pas la peine de le déloger. Le cadran était tordu. Elle en volerait un.

Elle traversa le petit bois pour rejoindre Paul. A peine la maison était en vue qu'elle entendit les rires de Dawn. Leur cheminée fumait et elle put sentir l'odeur des pancakes de Miranda. Lil' passa par la fenêtre de Paul. Le loquet était cassé. Il le cachait pour ne pas faire dépenser d'argent en réparation. Mais à Lil' il avait tout de suite avoué ce secret qui leur offrait mille chances d'escapade. Son ami dormait encore profondément. Lil' se glissa sur son lit. Elle enjamba Paul et le réveilla. Le garçon rigola. Il abrita ses yeux encore endormis sous ses mains pâles :

« Qu'est-ce que tu fous Lil' ! Laisse moi dormir. »

Lil' observa sa montre :

« Il est six heures et demi. Mais pour Brody il est huit heures. »

Paul rit de plus belle. Il comprit tout de suite. Lil' créait un monde à part pour son père, elle l'éloignait des conventions sociales. C'était sa façon de se venger de son abandon.

Lil' aimait le rire de son ami. Paul avait la voix grave, un peu rocailleuse. Mais quand il riait il redevenait l'enfant à la voix claire qui chantait Sting. Lil' se dégagea. Paul se frotta les yeux. Il scruta Lil' pendant presque une minute hésitant entre se moquer ou se désoler :

When Ravens CawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant