Acceptation

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L'espoir ne sert pas qu'à vivre : il sert à réussir.


   Le bruit est toujours présent au lycée. Incessant, ça ne s'arrête jamais. Je me trouve avec Eloïse, à la cafétéria. C'est cette petite cantine où l'on aime bien se retrouver toutes les deux. En général il n'y a pas beaucoup de monde parce que les musiques que le gérant passe datent des années 1970, et que peu d'adolescents s'ouvrent culturellement aux années avant leur naissance.

"Alors tu as trouvé ? demandais-je.

-Ouais ! Je vais faire des études de droit. Ça risque de me prendre longtemps mais tant mieux, j'ai du temps à tuer."

   Je souriais face à cette remarque. Clément finirait par venir, il parlait encore avec un de nos professeurs. A moitié avachie sur la table, je la regardais dévorer son beignet.

"T'es sûr que t'en veux pas ?

-Affirmatif, je me suis déjà empiffré la moitié d'une baguette en venant ici."

   Il était vrai que je ne me laissais pas mourir de faim, au moins une chose qu'on ne pouvait pas me reprocher.

"Et toi, reprit-elle, tu veux faire quoi ?

-Je sais pas trop... Pas encore. Disons que c'est en cours de réflexion."

   Elle hocha la tête, comprenant parfaitement où je voulais en venir. Elle s'apprêtait à lancer un autre sujet, car il n'y a pas mieux qu'Eloïse pour trouver un sujet de discussion, quand il a fallu qu'on vienne nous interrompre. Même à la pause déjeuner on ne pouvait pas laisser vivre les gentilles citoyennes qui ne demandaient qu'à manger. Et bien sûr, c'était le crétin de la dernière fois. Celui qui a tout simplement voulu se moquer de ma tentative de suicide.

"Hé, mais qui voilà ! lança-t-il. On a retrouvé le sourire à ce que je vois."

   Il imitait les voix mignonnes qu'on prend en général pour parler aux bébés. Je préférais l'ignorer, il n'allait rien m'apporter de bon.

"Tu t'es définitivement remis, c'est bon ? T'as finis par prendre de la marie, c'est cool."

   Continuer à l'ignorer. Je me concentrais sur Eoïse et son beignet, elle me rendait mon regard comme pour m'inciter à continuer cette parfaite ignorance. Et cela fonctionna, ce débile sembla se lasser et commença à partir avec ses potes, lançant une dernière phrase :

"Bon je me casse. Si t'es pas foutu de me répondre... J'y suis pour rien moi, si ton mec t'a largué."

   Ce n'était pas grand chose. J'avais réussi à l'ignorer jusqu'à maintenant, je pourrais très bien continuer. Seulement... sans savoir pourquoi, il avait fait descendre mon niveau d'acception à un niveau proche de zéro. Enfin, le genre de remarque qui nous fait sortir de nos gonds parce que notre situation actuelle ne nous permet pas d'encaisser.

"Elle va en vouloir à tous les mecs de la planète."

   Je me levais d'un bond et fis un geste pour qu'il se retourne. Il eut d'abord l'air surpris puis un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres. Je sentais le rouge de la colère m'envahir le visage et mes poings se serraient. Il allait souffrir.

"Quoi ? me provoqua-t-il. J'ai dis quelque chose qu'il ne ..."

   Le coup était partis. Tout seul, ma main avait atteint son visage avec une force que je n'avais pas soupçonnée. Cela le fit reculer et j'en profitais pour le pousser au dehors. Je fis ce geste à répétition jusqu'à arriver dans la coure, histoire de pouvoir cogner plus facilement.

"Hé ! Tu crois que..."

   Il tenta de répondre à mes attaques mais je l'esquivais au dernier moment. Il failli s'écrouler au sol mais un de ses potes le rattrapa. Un cercle s'était formé autour de nous, j'avais vu Eloïse qui m'encourageait à continuer.

   Je portais une nouvelle fois ma main à son visage, augmentant le sang qui dégoulinait de son nez, tout en lui crachant les paroles que je m'étais trop longtemps cachées :

"J'étais pas amoureuse d'un mec, abruti. J'étais amoureuse d'une femme merveilleuse !"

   Je le poussais à terre et lui offrit un coup de pied dans le ventre.

"Elle s'appelle Angela et tu... ne lui arrives... pas à la... cheville !"

   Quelqu'un tenta de m'empêcher à continuer mais je le repoussais violemment.

"Elle m'aime pas en retour parce qu'elle est déjà marié... et... qu'il prend très bien soin d'elle ! Elle est heureuse et... c'est très bien... comme ça !

-Arr... Arrête ! Arrête s'te plaît !

-Bah quoi ? Tu préférerais prendre de la marie ? Faudrait savoir, tu préfères te faire déglinguer la tronche par une saloperie de poudre blanche ou par un cœur brisé ? Hein ?!"

   Je lui redonnais un autre coup.

"J'espère que tu tomberas amoureux, petit crétin. Ouais, j'espère que t'aimeras cette personne plus que ta propre vie et par le ciel j'espère qu'elle t'aimera pas en retour !"

   Je m'apprêtais à lui donner un nouveau coup mais je m'immobilisais au dernier moment. Il était pathétique à être recroquevillé sur le sol de cette manière, les mains devant son vissage, la peur dans les yeux. Je ne lui fis plus rien. Je me contentais de me pencher vers lui et de lui murmurer ces quelques mots :

"Je suis tombée amoureuse et parce que c'était pas partagé, j'ai voulu me tuer. J'ai tenté de me suicider, de mettre fin à ma vie. J'ai tenté d'en finir parce que je ne croyais plus rien possible. Et toi t'as été assez crétin pour venir m'emmerder. Quand on a pas souffert, on est priez de fermer sa gueule !"

   Je me relevais. J'avais conscience de tous ces regards braqués sur moi. Pour ma part, je me contentais de fixer cet abruti des yeux. Allez, je n'allais pas partir sans rien dire de plus :

"En même temps... Comment on pourrait aimer un crétin pareil ?"

   Je partis en les laissant tous là.

   C'était méchant, c'était vile, mesquin même. Mais je n'en avais tout simplement rien à faire.

Cœur briséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant