Ultime geste

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   Le crépuscule m'offre son magnifique spectacle, l'odeur de la verdure m'emplit les narines avec délice et les véhicules se font de moins en moins bruyants au fil du temps qui défile. Une brise fraîche de printemps vient de me percuter, comme pour me faire reculer. Cependant je suis décidé. Rien ne peut plus me faire changer d'avis.

   C'est mon histoire que je viens de me remémorer, c'est tout ce qu'il s'est passé de l'instant où je suis arrivée dans cette ville jusqu'à maintenant.

   Je sais que rien ne peut me faire gagner ton amour Angela, et tu es heureuse, c'est tout ce que je souhaite. Je ne peux rien faire non plus pour toi Clément, il faut que tu m'oublies. Eloïse, tu pourras largement te passer de moi, tu es une belle personne et tu mérites la confiance des gens. Maman, papa, vous êtes des parents plus que formidables et sachez que je vous aime.

   Bien sûr, tout ceci ils ne le seront jamais, je ne laisse pas de lettre, je ne préviens personne, je ne laisse aucune trace. Je voulais d'abord partir loin, très loin de chez moi. Je sais que je ne pourrais plus jamais vivre comme avant, et je ne supporterais jamais une telle torture jusqu'à ce que ça veuille bien s'estomper. Alors j'ai décidé de partir pour un autre voyage, un aller simple. J'avais d'abord voulu y aller à l'aide d'une corde, chaque souffle manquant symbolisant chaque problème envolé. Mais, je ne voulais pas quitter cette vie comme ça, je voulais une autre manière, une autre méthode. Je pouvais fuir d'une façon plus douce mais ce n'est pas ce que je veux. Je veux un choc brutal qui me libère à jamais, je veux me retirer loin de tout afin que ce ne soit pas quelqu'un que je connaisse qui me retrouve.

   Je suis désolée Angela, toi qui a déjà perdu une fille. J'espère que je n'étais pas encore assez proche pour que tu me considères véritablement ainsi, je m'excuse pour ce nouveau déchirement, cette nouvelle épreuve. Tu t'en sortiras, je le sais, tu t'en sors toujours. C'est peut-être égoïste de ma part mais je ne peux plus continuer. Ce n'est pas de ta faute.

   Je baisse le regard pour observer le trottoir. Le toit sur lequel je me trouve doit bien faire dans les dix mètres de hauteur. Je n'ai même pas pensé à compter le nombre d'étage. Et puis, je n'arrivais pas à m'imaginer dans le futur de toute façon, je n'ai jamais su.

   J'observe : il n'y a personne autour de moi. Personne. Aucun témoin. Aucune preuve. Je m'en fiche, de toute façon cela ne me concerne plus. C'est mieux ainsi. Je préfère ainsi.

   Mes pieds avancent doucement. J'ai encore mes Converses. Mes chaussures éternelles. Il serait peut-être temps de les enlever. C'est ce que je fais et je les place à côté, comme si qu'elles regardaient la scène.

   Je fis un tour sur moi-même, je suis bien. Je suis seule. La perspective de la liberté de tous sentiments me fait sourire. Certains trouveront cela lâche, d'autres courageux, moi je veux juste que l'on me laisse. A jamais.

   Je m'avance un peu pour regarder le vide. C'est haut... Mais si je continue comme ça je vais me dégonfler et je ne veux pas que ça arrive. Mais, cela me fait peur. Oui, ça me fait peur. Je crois que... Je ne suis pas assez forte. Je fais demi-tour. Je commence à marcher en direction de la trappe qui me permet de regagner les escaliers. Puis je baisse les yeux. Je remarque que j'ai oublié mes chaussures. Je me retourne et les vois, tourné à mi-vide mi- toit. Un petit sourire naît sur mes lèvres.

   C'est vrai, c'est con de partir comme ça.

   Je marche peu à peu vers mes chaussures. Trois mètres doit me séparer d'elles.

   C'est con mais c'est réel.

   Je me mets à courir et saute. Je sais que je suis dans le vide. Je sens l'air fouetter mon corps mais ça ne me fait rien de particulier. Je ne crie pas, je laisse juste échapper un petit gémissement, peut-être de crainte, je ne sais pas trop au juste. Je n'ai pas envie de réfléchir. On dit souvent que quand notre mort est sur le point d'arriver, c'est notre vie qui défile devant nos yeux, mais ce n'est pas ce qui m'arrive. Moi je ne vois qu'un sol de béton qui se rapproche de plus en plus de moi. Je ne vois rien, comme j'aurais pu le penser. Aucun visage, aucune voix, aucune odeur. Rien de particulier. J'ai même le temps de penser que ça ressemble à ma vie : rien de particulier. Ça me fait rire intérieurement.

   Le sol se rapproche toujours plus. Je sais que je vais mourir. C'est ce que je veux. Ce n'est pas si triste à dire. Je le veux.

   Il est temps de dire au revoir à se monde, de saluer le spectateur. Mais trop tard, je n'ai pas le temps, je vais toucher le sol.

   Merci. Je...

Fin.


Cœur briséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant