Chapitre 14 - Sirius

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Je crois que j'ai de loin la mission la plus inutile. Comme si j'allais pouvoir aller au lycée sans que personne ne me voit ! C'est absolument impossible, et je suis persuadé qu'ils le savent. Tout le monde doit en parler de cette soirée, ce doit être le sujet favoris dans la cour de récréation alors franchement s'ils croient que je vais risquer ma vie sociale pour pouvoir récolter quelques infos lancées sans preuves fondées , ils se fourrent le doigt dans l'œil. 

Eden, lui s'est évidemment réservé la tâche la plus facile de la mission. Ne rien faire, attendre que ça se passe. C'est sûr que c'est beaucoup moins compliqué que de se rendre au lycée. Je ne le sens pas , ce mec. Beaucoup trop sûr de lui, beaucoup trop souriant pour que ce soit vrai. Au fond, il est mort de peur comme chacun d'entre nous, mais il ne veut juste pas l'avouer. Il s'est mis en tête de prendre la tête des opérations, comme si nous, nous n'en étions pas capables.

Je marche, tête baissée, sans m'arrêter jusqu'au lycée. Mais dans quelle situation je me suis mis. Il est toujours temps de faire demi-tour, de m'en aller. Qui m'oblige à prendre tous ces risques ? Eden... Je déglutis difficilement. Il a une plus forte emprise sur nous que nous ne voulons bien l'avouer. Quoi qu'il en soit, je n'arrive pas à partir.

Je consulte la montre que mon meilleur ami m'a offerte à mon anniversaire. Çà me semble si loin aujourd'hui. Et pourtant, cela remonte seulement à quelques mois. Je me souviens du cris de joie que j'ai poussé, et de son sourire quand il m'a tendu le cadeau. J'étais alors persuadé que notre amitié durerait toujours, qu'elle serait toujours présente d'une manière ou d'une autre. Je n'en suis plus si sûr aujourd'hui. L'aiguille des secondes avance dangereusement, elle est comme insaisissable. Le temps s'écoule si vite, qui sait quelle ampleur aura pris le meurtre dans quelques jours ?

16:25

La fin des cours est dans 5 minutes.
Si on y réfléchit bien, ça me laisse peut-être le temps de trouver un endroit parfait pour pouvoir observer le reste des lycéens.
Je me remémore un film d'espionnage que j'ai vu il y a longtemps. L'agent secret avait juste mis sa capuche et baissé légèrement la tête. Ainsi, personne ne l'avait reconnu et il avait pu remplir sa mission. Bien sûr c'est beaucoup trop gros pour pouvoir être vrai, mais en étant prudent pourquoi pas ? Personne ne s'attend à ce que je vienne... Personne ne fera attention d'ailleurs. Très peu de personnes me connaissent et il me suffira d'éviter mes amis. "Plus c'est gros et plus ça passe", je pense intérieurement.  

16:27

Sur un coup de tête je passe la capuche de mon sweat sur ma tête et je m'élance. Sérieusement c'est ridicule. J'ai envie d'exploser de rire et de crier à tout le monde ma stupidité, mais je n'en fais rien. Je me poste au milieu de la cours. Surtout, rester naturel. Donner l'impression d'être un lycéen tout a fait ordinaire, quoi qu'un peu solitaire. Soudain, un élément me vient en tête : je n'ai pas de sac, l'élément essentiel de tout élève.

16:29

Je récupère un vieil Eastpack abandonné près d'un poteau. Il fait partie de ces objets un jour oubliés sous la pluie par un malheureux garçon qui ne viendra jamais le récupérer. Aujourd'hui ça m'est bien utile. Je fixe le sol, tête baissée,prêt à agir. J'ai mon plan. Après le rush des lycéens, je me faufilerai à l'intérieur du lycée. Il faudra ruser pour pouvoir lire le panneau dédié aux informations et surtout pour pouvoir écouter les bribes de conversations que je pourrai également entendre. Passé 17 heures, la plupart des lycéens auront déserté mais il reste ceux qui ont des clubs. D'ordinaire je trouve ces personnes barbantes mais elles me sont utiles pour ma mission.  Ce plan sera parfait pour essayer de récupérer des infos. 

16h30

La sonnerie retentit. Je souris. Au fond je suis bien content de ne plus avoir à l'écouter chaque heure en soupirant. Je vois la masse d'ados s'enfuir en courant comme je devrais le faire, mais je maintiens la tête baissée. Ma capuche couvre l'intégralité de mon visage ne laissant ainsi pas la possibilité de me reconnaître. Je résiste à l'envie de repérer mes amis. Même si je leur fais confiance, personne ne doit être au courant de ma venue. Les rumeurs vont vite et je n'ai absolument pas envie qu'une bande d'attardés en touche deux mots à la police. 

Les garçons parlent fort et regardent autour d'eux pour repérer des jolies filles. Elles, elles rient et mâchent du chewing-gum. Je lève les yeux au ciel : quel schéma ordinaire de la société. On repère deux classes bien distinctes : les populaires, et les autres. Les premiers, rient fort et avec assurance. Ils attirent tout de suite le regard, c'est comme ça, c'est le jeu. Les autres, ils servent de décoration. On peut en effet apercevoir quelques filles le regard braqué sur d'autres adolescentes populaires. Les yeux envieux, le regard jaloux.
Ça peut se comprendre.
Mais heureusement il y en a aussi qui ne semblent pas intéressés par tout ça et qui soupire en levant les yeux au ciel. Ils sont si rares et précieux et mes amis en font partie... Pourquoi tout le monde a t-il constamment ce besoin de plaire ? Pour qui ? Dans quel but ? Autant de questions qui ne trouveront jamais de réponses... 

Au bout de quelques minutes, les groupes commencent à s'éloigner. La capuche toujours en place sur mon crâne,  je cours vers l'entrée du bâtiment.

Il n'y a presque personne et les quelques lycéens encore présents ont le nez plongé dans un livre. Je réprime un rire moqueur, et je continue ma marche, le plus silencieusement possible. 
Je me dirige le plus naturellement possible vers le panneau d'informations. Si quelque chose concernant Amir est organisé, c'est ici que ce sera dit.
Je crois d'abord qu'il n'y a aucune affiche sur l'affaire. Je n'en suis pas plus étonné. Le lycée ne veut certainement pas en parler, pour conserver sa prestigieuse image. Et puis, en me rapprochant, je remarque un petit papier, écrasé et à moitié caché par les autres.

"Le jeudi 21 mars se tiendra un hommage à Amir. Il s'effectuera à 17h dans le parc du lycée. C'est un moment de soutient à ses proches, et à ses amis. Votre présence est préférable mais pas obligatoire,
L'équipe de direction. "

Je frissonne. Et dire qu'on m'en tient en parti responsable. J'imagine la tête de tous ces gens si je me présentais à cet hommage. Je me demande si il y aura du monde. Et si il y en a, ce sera de toutes manières hypocrite. Amir n'avait que quelques amis ici, il n'aurait pas souhaité le lycée entier à son enterrement. 

- Salut. 

Je me retourne en sursautant. Absorbé par mes pensées, je n'avais pas remarqué que ma capuche était tombée. Le visage à découvert, je me retourne lentement vers le destinataire de la salutation : un ado à lunettes un peu boutonneux. Il me fixe, les sourcils froncés. M'a t-il reconnu ? Je commence intuitivement à inventer des explications dans ma tête mais il reprend la parole. 

- Tu vas y aller ?
- Où ça ?
- Ben à l'hommage. C'est ce que tu regardais, pas vrai ?

Son ton est étrange, presque ironique. Je croise les doigts pour qu'il ne m'ai pas reconnu mais j'en suis presque persuadé.

- Oui, c'est ça. Je pense que j'irai, c'est la moindre des choses, non ?

Il hausse les épaules : 

-  Je sais pas. On n'y est pour rien nous, pourquoi on s'y rendrait ? T'es nouveau ?
- Non.
- Ah, pourtant je t'ai jamais vu. Ca t'arrive souvent de te promener la tête dans une capuche ?
- J'avais froid. Et c'est normal, on ne s'est parlé.
- Je connais tout le monde.
- Visiblement pas, je dois y aller. 

Le garçon hausse les épaules tandis que je me dirige d'un pas rapide vers la sortie. Je ne sais pas si ce garçon m'a reconnu, ni pourquoi il est venu me parler, mais je devrai être plus prudent à l'avenir. Je m'éloigne un peu du bâtiment pour reprendre mes esprits. Ce garçon, je ne l'avais jamais vu non plus. Mais je m'inquiète sûrement pour rien. Il était sûrement un peu perturbé, un peu trop seul dans sa solitude. 
Je m'allonge par terre quand mon portable sonne. Si c'est encore un de mes amis qui essaie de me parler, je le bloque.

Rdv ajd 17h dans la parc. Je vous explique là bas soyez bien là c'est important.

Un message d'Eden. Qu'est ce qu'il a ? Il est trop seul ? Il se sent trop inutile ? Je ricane. Ce ne sera sûrement pas moi qui le réconfortera. Malgré tout, je me relève difficilement en soupirant puis me mets directement en route, pas mécontent de quitter le lycée. Je sens encore la sueur froide dans mon dos...


Cluedo 2.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant