Cluedo 2.0

Chapitre 17 - Allie

Le message, le message, le message. Voilà ce qui occupe la plus grande partie de mes pensées. En rentrant chez moi je me suis directement installée devant mon ordinateur. J'avais besoin de savoir, de comprendre. Commet rester tranquille alors qu'on reçoit un tel message sans en savoir le destinataire ? Ce n'est pas possible tout simplement.

Je réfléchis. D'un côté, je suis censée étudier la liste des invités. Oui, c'est Eden qui le veut et si je ne lui rends pas à temps ça ne va pas lui plaire c'est certain. Mais je suis persuadée que ma mission est une perte de temps. Oui, il y avait des gens qu'Amir n'aimait sûrement pas à cette soirée,  mais pourquoi ces gens l'auraient-il tué ? Ça n'a aucun sens. Pour la millième fois au moins, je me maudis d'avoir accepté cette invitation. Si je n'étais pas venue, je serais sûrement une de celles qui parlent sans savoir...

Je me connecte sur Instagram. J'ai toujours l'espoir de récupérer un profil normal, avec des dizaines de commentaires par jour. Je clique sur le bouton d'actualisation en serrant les dents.
Aucune notification, évidemment. Il va falloir que j'arrête de penser que tout ça n'est qu'un rêve. Jamais je ne récupérerai ma popularité : les gens sont obnubilés par le regard des autres et je suis bien placée pour le savoir.

Avec un soupir, je retourne voir le profil qui m'a envoyé un message. Toujours le même, anonyme sans aucune autre information que le pseudo incompréhensible. Je tape nerveusement des doigts sur le clavier. Qu'est-ce-que je devrais faire ? On a eu tellement de leçons de moral sur les dangers d'internet que je devrais immédiatement fermer la page sans me poser d'autres questions. Ce type pourrait très bien être un malade cherchant à me violer, me kidnapper ou me pirater. Oui mais c'est peut-être quelqu'un qui sait quelque chose Allie...

Je décide de lui répondre non sans méfiance. Après tout je ne risque pas grand chose derrière mon écran.

Qui êtes vous ?

Au fond de moi je sais très bien que c'est idiot. Comme si il allait me répondre, comme si il allait me dire qui il est. Ou elle est d'ailleurs. De toutes façons il y a plus de chances que ce soit une blague qu'autre chose.  
Je ferme l'onglet, songeuse. J'aimerai tellement qu'il me réponde immédiatement. Je chasse avec difficulté le mystérieux pseudo de mes pensées et reprends ma liste. Je vais finir de noter les dernières personnes, les trier et les envoyer à Eden. Je peux le faire ce n'est que quelques heures de travail supplémentaires.

J'ai toujours eu horreur de travailler. C'est tellement cliché dit comme ça mais c'est vrai. Les équations, les figures de style, l'histoire, la géographie... Je ne crois pas que le lycée soit le bon choix pour moi. Mais avec mes parents, envisager des études plus courtes et plus adaptée à mes besoins était absolument hors de questions. Leur but premier est que j'ai un métier respectable, avec un bon salaire. Malheureusement je ne crois pas que ce soit possible un jour. J'ai pris suffisamment de retard pour redoubler cette année, et les deux suivantes encore. Mais je vais la faire cette liste. J'en suis capable et il va bien falloir que je me mette à obéir un jour. Je me demande ce que je ferai ensuite.

Ensuite...J'attendrai. J'essaierai de penser à autre chose jusqu'à ce que je revois le groupe. Je sortirai Amir de mes pensées, j'éteindrai mon téléphone portable et je... travaillerai pour rattraper mon retard. Et on verra bien ce qu'il arrivera.

Je ne suis pas aussi idiote, je sais très bien que notre enquête ne sert pas à grand chose. Des gamins ne peuvent pas résoudre une affaire mieux que la police elle-même. 
On n'est pas dans un film, surtout que nous sommes extrêmement surveillés. Toutes ces missions ça ne sert à rien, surtout avec les moyens dont nous disposons. Je suis juste venue par commodité, pour leur prouver ma bonne-foie. Et peut-être aussi pour essayer de vaincre ma solitude mais c'est une autre histoire.  

Pendant l'heure qui suit, je consulte attentivement tous les profils Instagram que j'ai trouvés. Au final, j'ai réussi à noter plus de 110 personnes, ce dont je suis assez fière. Je soupire et note les tous derniers noms dans mon ordinateur. C'est drôle, elles étaient toutes dans ma liste d'amis. En tout cas, je n'ai plus qu'à l'imprimer en cinq exemplaires et je serai tranquille pour un petit moment avec les missions. 
Je m'apprête à fermer l'application mais le son d'un nouveau message retentit.

Tu crois vraiment que je vais te le dire ?! Tu finiras bien par le découvrir, toi et ta petite bande de cinq gros malins.

J'écarquille les yeux stupéfaite. Mon cour bat beaucoup trop vite, et j'ai soudain très chaud. Je relis plusieurs fois les quelques mots pour être sûre que je ne rêve pas. Mais non, le message est bien là, écrit noir sur blanc. J'espère que c'est une blague, une grosse et très mauvaise blague. Je ne réponds pas. J'ai peur. Cette personne sait que les autres et moi nous nous voyons. Cette personne nous a espionnés, surveillés et ça me donne la chair de poule.
Je reste quelques instants de plus immobile, puis j'attrape mon téléphone.
Je compose le numéro d'Eden. C'est ce qui me semble être le mieux à faire, comme si c'était un réflexe. Malgré qu'il soit agaçant et prétentieux, c'est celui qui saura le mieux me conseiller. Et sans surprise, il décroche au bout de quelques sonneries.

- Allie ? Ça y est t'as la liste ? Pour une fois que tu rends quelque chose en avance !
- Non pas encore, je réponds avec agacement, tu l'auras bientôt il faut que je l'imprime.
- Dépêche toi, ça commence à urger, dit-il sur un ton beaucoup plus froid.
- Oui, je sais bien. Mais c'est pas pour ça que je t'appelle !
- Quoi ? Il s'est passé quelque chose?

Je perçois de l'inquiétude dans sa voix. Je prends une longue inspiration et je commence mon récit :

- Oui j'ai reçu plusieurs messages assez flippants pour tout t'avouer. Un premier. "La vérité est bien plus proche que ce que vous pensez".
- Calme toi, c'est sûrement une blague, qu'est-ce-que tu as répondu ?
- Non j'en n'ai pas l'impression Eden. J'ai demandé qui c'était et il m'a répondu que notre bande finirait bien par le découvrir.
- Notre bande ? Il parle de toi moi et les autres ?
- Je suppose, je n'ai pas revu mes amis depuis cette soirée.
- Mais... pourtant on n'en a parlé à personne...

J'entends le son d'une respiration. Il est tout aussi inquiet que moi même si il ne voudra jamais le montrer. Cette pensée me fait sourire, il n'est pas aussi fort et insensible que ce qu'il laisse à penser finalement.

- Les autres t'ont déjà envoyé des choses ?
- Non, mais j'aurais ça demain ou dans la journée je suppose.
- J'espère. Bon je te laisse je t'imprime la liste et je t'envoie tout ça.
- Merci Allie, c'est vraiment important tu sais.
- Sûrement, je réplique ironiquement, je dois y aller ma mère va bientôt rentrer et je ne veux pas qu'elle me pose des questions.
- Bye, et...t'inquiète pas ça va aller...

Il raccroche. M'aurais t'il rassuré ? Eden ? Doux et rassurant avec les autres ? Et bien, les accusations à tort ont bon effet sur les gens... Sur moi aussi, j'espère. Je n'en peux plus d'être celle que je suis. C'est tellement triste à dire. Je me suis construit une personnalité, une attitude, une vie qui n'auraient jamais dues être miennes. J'ai fais des choix qui au fur et à mesure ont changés ma vie sans que je ne m'en rende compte. Les circonstances ont fait, que voilà maintenant je suis celle que tout le monde déteste. J'ai une pensée triste pour ma mère. Elle qui a toujours les traits du visage tirés par la fatigue, elle que se tue au travail pour pouvoir m'offrir un avenir digne de ce nom. Elle qui aurait tellement voulu d'une fille à son image, soigneuse travailleuse et appliquée. Juste tout ce que je ne suis pas actuellement. Alors évidemment qu'elle me crie dessus, évidemment que je ne la rends pas fière. Mais au fond, qu'est ce que je fais pour ça ? Rien, et c'est injuste. Je serre le petit collier qu'elle m'avait offert pour mes dix ans au creux de ma paume. Mais si je préférerais crever plutôt que de lui dire, c'est le plus beau cadeau qu'on ne m'ai jamais fait. C'est un simple cristal , mais il est si jolie qu'il suffit à la beauté du collier. Je ne l'ai presque jamais porté et il demeure en parfait état. Je le range soigneusement dans son écrin doré et je m'affale de nouveau sur mon lit.

Comment ma vie a t-elle pu changer à ce point en une seule soirée ? C'est désolant. Et pourtant je me sens mieux. Je n'ai plus besoin de faire semblant d'aimer tout le monde. Puisque tout le monde a maintenant peur de moi.

Et puis je me sens bien avec ceux qui m'entourent. Sirius, Rose, Eden, Malo. Aujourd'hui mes amis, c'est eux.