Chapitre 18 - Malo

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Les rayons du soleil traversent doucement les rideaux de ma chambre. Ça devrait être une belle scène, comme dans les livres. Je devrais m'étirer doucement et bailler au corneille avant d'aller déjeuner de manière équilibrée et de partir joyeusement au lycée. Je devrais crier "c'est une belle journée qui s'annonce" d'une façon un peu niaise, embrasser mes amis et aller en cours de mathématiques pour apprendre de nouvelles choses.
Mais non. Rien de tout ça n'arrivera. Je ne baillerai pas, et je ne m'étirerai pas non plus. Je ne déjeunerai pas - il est déjà dix heures et j'ai rendez-vous à dix heures trente-  et, comble de l'ironie, je ne partirai pas non plus au lycée, puisque j'en suis renvoyé.
Mais je ne resterai pas non plus dans mon lit à glander toute la journée. Il faut que je bouge, que je me divertisse ou bien je finirai pas couler, et définitivement.  Je vais sortir : j'ai rendez-vous avec Eden et les autres au parc cet après-midi pour qu'on puisse faire le point sur ce qu'on a trouvé.
Et ce matin, j'ai rendez-vous avec une psychologue. Celle du lycée, Juliette je crois. Il paraît qu'elle est bien, qu'elle est douce et attentive, mais punaise je n'en ai absolument pas besoin. J'ai appris que les autres aussi la voyaient, pour les mêmes raisons que moi. Hier ma mère m'a informé qu'elle avait reçu un texto d'une "gentille dame qui va m'aider à y voir plus clair".
Ouais, comme si j'avais trois ans et que je n'avais compris que cette "gentille dame" attend de recevoir cinq cinglés, tueurs et psychopathes.
Le rendez-vous est au lycée et évidemment les horaires du rendez-vous tombent pendant la récréation.  J'avais pensé à mettre une capuche et un sweat noir, mais je me suis dit qu'au point où j'en suis, ma réputation est inexistante et le restera, alors autant assumer mon statut social pour les trois prochaines années. Et puis qui me dit que quelqu'un me reconnaîtra ? Je suis tellement transparent...

Je me dirige vers la porte d'entrée. Techniquement, je suis privé de sortie. Mais réellement, je suis seul chez moi. Ma mère est dans le genre acharnée du travail. Et c'est sûrement pour cette raison qu'elle me met autant la pression avec les notes.  Quant à mon père... Je n'ai pas de père, c'est aussi simple que cela.

Il fait froid dehors, et ma petite veste ne me réchauffe absolument pas. Je frissonne et j'accélère le pas. J'ai un mauvais pré sentiment, comme si je marchais tout droit vers ma mort. Mais non, tu vas juste parler à une dame qui n'en a sûrement rien à faire de toi, ce n'est pas si grave Malo...

J'arrive en seulement quelques minutes devant le lycée et immédiatement je me sens mal. Tous ces gens, tous ces visages si familiers... Je ne me sens pas capable de les affronter. Je vois la foule d'élèves rire et marcher joyeusement dans la cour. Ils ne me voient pas, ou du moins ne me regardent pas. J'hésite à attendre qu'ils partent tous, mais le rendez-vous n'est que dans quelques minutes. Alors je prends mon courage à deux mains, et je fonce, tête baissée, les mains dans les poches, aussi vite que possible vers le bâtiment principal.
Personne ne m'a interpellé. La preuve qu'on ne s'intéresse pas à moi, par principe. Je devrais être déçu, mais je suis au contraire soulagée de ne pas devoir affronter les regards durs des autres. Qu'est-ce-que j'aurais répondu si on m'avait demandé d'expliquer les faits ? Me connaissant, j'aurais rougis comme jamais auparavant, et je serais parti en courant sous les rires moqueurs des autres.

Ça me fait bizarre d'être au lycée, j'ai l'impression de ne pas être à ma place, d'être un étranger. J'ai rendez-vous dans une des salles de classe. Je frappe timidement à la porte et aussitôt, une dame plutôt jeune - sûrement Juliette -vient m'ouvrir, avec un grand sourire.  J'aurais aimé pouvoir dire qu'il était si faux qu'il me dégoûtait, mais je suis obligé d'avouer qu'il m'a tout de suite mis en confiance. Elle me tend sa main, et je n'ai pas d'autres options que de la lui serrer.

 - Salut ! Toi c'est Malo c'est ça ?
- Oui.
- Je viens de quitter ta copine à l'instant !
- Laquelle?
- Rose ! C'est la seule que j'ai vue pour le moment, enfin, avec toi maintenant. 

Elle attrape une chaise qu'elle déplace maladroitement jusqu'à moi. Elle me fait ensuite signe de m'asseoir avec un sourire qu'elle veut encourageant.

- Assis toi, qu'est ce que tu attends ? Commençons par le commencement,  sais tu qui je suis ?
- Ouais. Une dame qui croit que j'ai assassiné un type dans une soirée et qui veut m'aider à retrouver le chemin de la sagesse. Enfin bref, ma nouvelle psy.

Elle lève un sourcil, plutôt surprise. Évidemment, Rose a dû être beaucoup plus calme, je la vois mal s'énerver contre un adulte. Moi en revanche, je veux qu'elle comprenne que je ne suis pas là par plaisir, et que je ne jouerai pas à son petit jeu de "parle moi je suis ta meilleure amie". C'est l'approche préférée des psychologues, mais merci bien je ne tomberai pas dans le piège.

- Pour commencer, je ne suis pas "une dame" mais Juliette ! Et on ne parlera pas de si oui ou non tu as tué ton ami, ça ne m'intéresse pas de savoir la vérité en fait.
- Ouais et on est là pour jouer aux cartes donc ?

Je vais trop loin dans la provocation et je le sais. Mais on air niais et si parfait m'exaspère et je n'ai pas envie de jouer la comédie aujourd'hui.

- On t'avait décrit comme calme et réfléchis.
- Et meurtrier-psychopathe aussi non ?
- Je ne suis pas là pour te faire des reproches.
- Aha, bien sûr que non puisque de toutes façons j'ai rien à me reprocher.
- Dans ce cas laisse moi une chance. 

Je soupire. La pauvre, elle n'y peut rien. J'imagine bien qu'elle n'a pas demandé à se retrouver à travailler pour cinq ados qui n'en valent pas la peine. J'hoche la tête. Après tout, elle n'y est pour rien. Elle sourit chaleureusement et attrape un carnet.

- Alors, tu t'entends bien avec les cinq autres ?
- Euh...Oui, enfin on ne se parle pas trop...
- Tu penses qu'après tout ça vous allez continuer à garder un lien ?

Je lève un sourcil, suspicieux. Est-ce un rendez-vous psychologique sur un meurtre, ou sur ma vie ?

- Oui, on en aura toujours un de toutes façons, après est-ce-qu'on va garder contact, je ne pense pas du moins pas avec tout le monde.
- Est ce que tu pourrais me décrire un à un les membres du groupe s'il te plaît ?

Je ne vois pas vraiment l'utilité des questions mais je me concentre.

- Je ne les connais que depuis très peu de temps alors c'est un peu dur, mais je veux bien essayer. Je commence par qui ?
- C'est toi qui choisis.
- Rose. Rose, elle est...
- Elle a aussi commencer par te décrire. 

Je me sens rougir. Mon cœur bat un peu plus vite et je sais bien pourquoi. Mais je refuse d'en parler, je refuse ne serait-ce que de l'admettre.

- Elle a deux personnalités. Elle est très timide et réservée. Et puis des fois elles se met à être très arrogante et très sûre d'elle. Elle a comme des poussées d'adrénaline. Ça devrait être la plus touchée car Amir est son cousin pourtant elle reste la plus calme.
- Très bien. C'est aussi comme ça que je l'imagine. Ensuite ?
- Eden. Il est très sûr de lui. Trop ? Je pense. Je ne... l'apprécie pas vraiment on va dire. Après, c'est vrai que sa place de leader il l'occupe très bien, je ne le voyais pas autrement...
- Leader ?
- Ben...oui. C'est un peu lui qui nous dirige.
- Vos parents m'ont dit que vous vous réunissiez de temps en temps pour réfléchir. C'est là qu'il occupe cette place ?
- Oui. Allie, elle est pas comme je pensais. Bien sûr elle garde toujours ses attitudes de peste, mais au fond on voit bien qu'elle est un peu perdue. Je pense que ça vaut la peine d'apprendre à la connaître.
- C'est souvent ça avec les personnes qui ont l'attitude d'Allie.
- Non. Beaucoup se la jouent pour avoir l'attention des autres et c'est...
- Pitoyable.
- Exactement.
- Et donc Sirius ?
- Je...je sais pas. Il est tellement transparent...tellement peu présent que je n'arrive pas à lui faire confiance.
- Tu penses que tu as une raison de te méfier de lui?
- Non... non pas du tout ! Mais je ne sais pas...c'est pas mon ami en tout cas.
- Je vois, mais c'est ton droit.
- Oui.
- Bon je pense que ça suffira pour aujourd'hui j'ai eu ce que je voulais.
- C'est tout ?
- Mon but ce n'est pas de te voir pendant une heure pour que tu puisses me convaincre de ton innocence. Mon travail ce n'est pas ça.
- C'est quoi alors ?
- Je ne veux pas que ce meurtre te hante pour toujours. 

Cluedo 2.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant