Prologue

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La reine Izora regarda par delà sa fenêtre l'horizon d'un noir d'ébène. Le jour aurait dû se lever depuis bien longtemps, elle en était consciente, mais elle savait ce qui empêchait l'astre de chaleur et de lumière luire de toute sa splendeur : les armées des Goodrins, ces effroyables créatures sans fois ni lois, ne craignant qu'une personne, à laquelle ils étaient entièrement dévoués : Brimhs, le roi des Glaces, souverain du Royaume d'Agapé.
Izora répéta ce nom cent fois dans sa tête. Brimhs. Brihms. Brihms. A chaque fois, des frissons vinrent lui glacer la peau et les muscles. Il était là, et ses armées aussi. Près à prendre la capitale de Capréïa d'assaut. Près à la tuer. Elle savait tout ça.
C'est pourquoi il fallait faire vite. Les armées des Goodrins n'étaient pas encore là, mais cela ne saurait tarder...

Un gémissement se fit entendre, du fin fond d'un grand berceau dans un coin de la grande chambre royale. La reine se détacha de la grande fenêtre pour se précipiter vers le berceau, où dormait paisiblement deux bébés, que tout différenciait : l'un était un garçon à la peau plutôt pâle et aux yeux d'un bleu cristal envoûtants. L'autre était une fille, au teint bronzé, et aux yeux d'un brun caramel radieux. C'était elle qui c'était réveillé, poussant par la même occasion son gémissement gracieux. La reine la prit dans ses bras et, tout en la berçant et en lui murmurant des mots doux, elle laissa échapper quelques larmes. Ces deux petits étaient ses enfants, âgés de deux jours à peine... Et pourtant elle devait se séparer de ses amours pour leur sécurité. Elle soupira. Pourquoi fallait-il que cela se passe toujours de la sorte ? Serait-ce une farce du hasard qui aime voir des familles se séparer pour la sécurité d'un des membres ? Peut-être. C'était cruel, certes, mais indispensable... Il n'y avait pas d'autre solution. Et Brimhs qui avançait toujours plus dans le but de tuer l'un de ces nouveaux-nés...

Cette pensée fit sortir la reine de sa tristesse. Non ! Elle n'avait pas le droit de s'apitoyer sur son sort, celui de ses enfants était bien plus important ! Elle se devait d'être forte et de garder la tête froide - ce qui était étrange venant d'une personne possédant le pouvoir du feu. 

Soudain, la porte de sa chambre s'ouvrit brusquement, un grand homme à l'allure carré se tenant dans l'encadrement. Il scruta la reine d'un regard qui mélangeait inquiétude, peur et angoisse. Celle-ci ne s'offusqua même pas de son entrée brutale, l'ayant reconnu immédiatement : Célio Erénide, son premier ministre, son ami fidèle... Mais lui la voyait bien plus encore. Et ça aussi, elle le savait. 

-Il faut vous hâter, commença Erénide sans préambule, les Goodrins seront bientôt là, une sentinelle vient de me prévenir qu'ils font un carnage à la frontière. Et ils avancent vite. Il faut vous préparer, Votre Altesse.

Izora se tourna de nouveau vers la grande fenêtre, qui débouchait sur un paysage sombre et angoissant. Elle resserra ses bras autour de sa fille, comme pour se rassurer.

-Je n'abandonnerai pas mon peuple, Célio, répliqua Izora. Il a besoin de moi plus que jamais.

-Mais ils sont trop nombreux ! S'écria le premier ministre en se plantant devant la reine, vous êtes puissante, certes, nos armées sont fortes, sans le moindre doute, mais eux ont l'avantage du nombre et sont poussés par une rage et une détermination indestructibles ! Vous ne tiendrez pas !

-Il le faudra, pourtant, le temps que vous fuyez.

Le premier ministre en resta bouche bée. La reine devenait-elle folle ? Mais que racontait-elle ?

-Je... Je vous demande pardon ? Bafouilla t-il en cherchant son regard.

Celui de la souveraine restait figé sur l'horizon telle une statue sans âme. Elle se tourna lentement vers l'homme, une flamme pleine d'espoir brillant dans ses yeux d'un bronze ardant.

-Vous allez fuir, Célio, déclara-t-elle sans une once d'hésitation dans la voix. Vous fuirez avec les bébés et les emmènerez là où Brimhs ne pourra pas les retrouver.

-Mais je... Je ne comprend pas, ma reine... Souffla Erénide d'une voix tendue.

Izora se dirigea vers le berceau, et prit dans ses bras son fils, qui dormait encore. Sa sœur, elle aussi, avait fini par se rendormir. Puis, elle retourna auprès de Célio et les lui tendit.

-Vous êtes mon dernier espoir, Célio, murmura t-elle, ils sont notre dernier espoir, à tous. Leurs pouvoirs ne se sont pas encore développés, mais il est nécessaire qu'ils les développent à l'abri des yeux de Brimhs. Vous savez que... L'un d'entre eux est son descendant. C'est vital qu'il ne grandisse pas entre ses serres de glace. Je refuse qu'il soit un tueur, un tortionnaire, qui ne gouverne que par la peur qu'il inflige à ses sujets. A eux deux, ils changeront Aranïi. Seulement, il ne faut en aucun cas que Brimhs s'emparent d'eux.

Célio baissa les yeux vers les bébés, lesquels dormaient profondément. Ils étaient si différents, et pourtant si similaires... Et l'un d'entre eux était le descendant de Brimhs, le maître des Glaces et des Ténèbres Éternelles. Il avait envie de hurler. Cela n'aurait pas dû se passer comme ça ! Si seulement Izora n'avait pas laissé l'amour l'aveugler, si seulement il avait était là pour la retenir... Si seulement...

-Je ne veux pas vous perdre, Izora, dit-il alors en relevant la tête, pas vous. Et je n'ai aucun compte à rendre à ses enfants qui ne sont pas les miens. Et l'un d'entre eux n'est même pas le vôtre...

-Célio... Écoutez moi, je vous en prie... Tenta désespérément la reine, je sais que vous ne les avez jamais aimés... Mais, pour l'amour que vous avez pour moi, je vous en conjure, emportez-les avec vous, éduquez-les pour qu'ils deviennent l'espoir que tout le monde place en eux... Sauvez-les, car plus tard, ils sauveront ce monde, Célio... Je vous en prie !

Le premier ministre regarda sa reine. Elle avait des larmes pleins les yeux et son regard était implorant. Il détestait la voir comme ça. Elle qui était toujours forte, déterminée, pleine de ressource et d'énergie... Et voilà qu'elle montrait son désespoir, sa faiblesse, pour, sans doute, la première fois de sa vie. Erénide regarda une nouvelle fois les jumeaux. Ils ressemblaient beaucoup à leur mère, avec des traits fins mais tout de même ronds. L'un d'entre eux - le garçon aux yeux bleus - se réveilla sans bruit et le regarda. Un fin sourire illumina le visage d'ange du nouveau-né. Impossible pour Célio de ne pas le lui rendre.

-Je... Je ne sais plus, Izora, répondit-il finalement, vous... Vous allez mourir, si vous restez ici. Mais, d'un côté, je ne veux pas abandonner ces enfants...

-Alors, emmenez-les, vite, déclara la reine qui avait retrouvé un peu d'espoir. Il n'y a plus de temps à perdre, Célio, je vous en prie. Tous mes espoirs reposent sur eux, je les aime plus que ma propre vie. Et je veux vous épargner. Vous êtes le seul qui puisse s'occuper d'eux, Célio...

Le premier ministre soupira. De frustration, de peine, de rage. Sa décision était prise.

Il fit un pas en avant et enveloppa la femme qu'il avait toujours aimée, entourant par la même occasion les deux petits qui, dans une autre vie, peut-être, auraient put être les siens.

-Je vous aime, Izora, lui murmura t-il d'une voix pleine de regrets, je... Je les protègerai et les aimerai comme si j'avais été leur père.

-Pour moi, vous êtes leur vrai père, Célio. Merci. Pour tout.

Il l'embrassa sur la joue, et prit les bébés avec délicatesse. La reine et lui les enveloppèrent dans un châle, de façon à ce que le premier ministre puisse les porter en toute discrétion. Elle l'accompagna ensuite par un passage secret vers les écuries, où ils scellèrent un cheval dont la vitesse et la puissance égalaient celle de dix autres, puis la souveraine passa autour de la taille de Célio un objet d'une puissance magique phénoménale. La clef pour un autre monde...

Au moment où Erénide s'apprêtait à partir, Izora le retint.

-Madoka, murmura t-elle, et Alessandro.

Célio hocha la tête, signalant ainsi qu'il avait compris. Puis, il s'encapuchonna dans sa cape noire et talonna son cheval, lequel partit au grand galop. Il parti vers le Sud, pour s'éloigner le plus du Nord, où il laissait la palais seul contre les armées des redoutables Goodrins. Et Izora, qui, il le savait, se battrait jusqu'à la mort. Il se retourna une dernière fois pour voir le noir et la peur engloutir un peu plus son royaume. Puis il fit face à l'horizon qui s'étalait devant lui, lequel était chargé d'espoir, de revanche et d'avenir. 

Aranïi tome 1 : Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant