Chapitre 10

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Célio roulait à pleine vitesse, autant que sa voiture pouvait lui permettre, en prenant tout de même garde à ne renverser personne ou créer d'accident. Sa courte discussion avec Carla Williams tournait en boucle dans sa tête, et plus particulièrement la dernière phrase de la secrétaire : "Elle a fugué". Madoka, la petite fille modèle, celle qui étudiait sérieusement, celle qui ne se permettrait jamais de sécher un cours, celle qui n'avait jamais aucun retard... Avait fugué. Sans doute était-elle rentré à la maison... Là, Célio ne pouvait plus se permettre de s'inquiéter. Il fallait agir.


Alessandro, adossé contre sa porte, avait les yeux rivés sur ses gants de caoutchouc. Ceux-ci étaient épais, noirs, à l'image de l'obscurité régnant dans la chambre. Il pouvait sentir la chaleur qui se dégageait de ses mains, de son corps, ardente et dont le contrôle lui échappait totalement. Il avait chaud, très chaud, et derrière ses paupières closes, des flammes dansaient, envoûtantes. Le jeune garçon ouvrit ses yeux, mais n'en chassa pas moins l'image des flammes, qui restait engluée à son esprit, comme un sceau maudit indélébile qui avait laissait sa marque en prenant possession du corps d'Aless. Car c'est bien ce qu'il était : maudit. Ça, il en était certain. Sinon, comment expliquer qu'il puisse faire surgir de ses mains des flammes cramoisies ? Et le feu n'était-il pas, à lui tout seul, le symbole des Enfers, des démons ? Si. Cette remarque lui arracha un grognement de haine et de détresse. Était-il devenu le fils de Satan ? Le monstre viendrait-il, une nuit, le chercher pour l'emmener dans son royaume de désolation et de feu ?

Des coups à la porte interrompit les sombres pensées d'Aless. Celui-ci se redressa précipitamment, inquiet. Qui cela pouvait-il être ?

-Aless ? Aless ? C'est moi, Maddie ! Appela la voix à la fois essoufflée, excitée et angoissée de sa jumelle, écoute-moi, il faut absolument que je te parle !

Le jeune garçon était dubitatif. Si Madoka était ici, cela voulait dire... Qu'elle séchait les cours ? Impossible !

-Tu sais très bien que je ne peux pas te parler, Maddie ! Rétorqua Alessandro, et puis, d'abord, que fais-tu ici ? Il te reste encore trois heures de cours, il me semble !

Un silence. Une respiration.

-J'ai séché, déclara Madoka soudainement, parce que je ne pouvais tout simplement pas rester. Écoute, Alessandro... J'ai entièrement glacé les toilettes des filles. Par le biais de mes mains.

Le jeune garçon eut un mouvement de recul. Avait-il bien entendu ?

J'ai entièrement glacé les toilettes des filles.

Il ne pouvait y croire. Alors, Maddie aussi... ?

Par le biais de mes mains.

Il ne savait pas quoi penser. Une chose pareille ne s'inventer pas à l'improviste. Et la simple présence de sa sœur derrière cette porte prouvait qu'il lui était arrivé quelque chose.

... Glacé les toilettes des filles.

Il était arrivé à Madoka la même chose que lui. Alessandro en était sûr...

... De mes mains.

Parce que sa jumelle ne lui mentait jamais.

Lentement, très lentement, il tourna la clef dans la serrure de la porte et ouvrit celle-ci. Sa sœur se tenait face à lui, le regardait avec ses grands yeux de bronze. C'est à ce moment là qu'Aless se rendit compte que sa sœur lui avait énormément manqué, durant ces six jours.

La jeune fille dévia son regard vers la chambre de son frère... Et retint une exclamation de surprise en la découvrant entièrement brûlée.

-Oui, je sais, murmura Alessandro en baissant la tête.

-Que t'est-il arrivé ? Lui demanda sa sœur, et pas de cachoteries, cette fois. Je dois savoir.

Son frère ramena son regard de glace dans celui de feu de Maddie. C'était presque ironique, quand on y repensait. Il inspira profondément, et avoua tout :

-Après la dispute nous opposant, papa et moi, j'avais ressenti comme une sensation de brûlure intense à l'intérieur de moi, comme un feu se terrant au fin fond de mes entrailles et commençant à sortir, d'un coup. Puis, pendant la journée du mercredi, une douleur insoutenable était venue accompagner cette drôle d'impression. Et, comme je n'osais pas te parler, je l'ai gardé pour moi. Mais après, tout s'est compliqué et tu es venue me voir. Et une seconde querelle à fait rage, mais entre toi et moi, cette fois. Et il y avait cette douleur qui ne cessait d'augmenter et ce feu qui ne désirait qu'une chose : sortir. Alors, j'ai eu peur, mal et chaud, j'ai donc décidé de rentrer à la maison, là où je me sentais le plus en sécurité. Et c'est une fois là-bas que toute la douleur s'est évacuée : un feu rouge est sorti de mes mains, consumant, réduisant en cendres une bonne partie de ma chambre. J'avais tellement peur, je ne savais pas ce qui m'arrivais. Et je ne voulais pas vous mêler à ça, papa et toi. Alors je me suis enfermé dans ma chambre.

A la fin de son récit, Alessandro se pinça les lèvres. Il avait enfin tout avouer, il n'avait omit aucun détail, et cela lui donnait un sentiment de liberté et de soulagement telle que l'émotion gagna son cœur, mais il sut retenir ses larmes.

Madoka, elle, le regardait sans rien dire. Mais elle n'en pensait pas moins. Son frère avait dû souffrir énormément. Tout comme elle...

-Mon histoire est assez semblable à la tienne, frangin, déclara-t-elle avec un petit sourire triste, à l'inverse que moi elle s'est déroulée dans les toilettes du hall et que c'était de la glace et non du feu, qui est sorti de mes doigts. J'ai ensuite fui, abandonnant la "scène" et mes affaires avec.

Maddie tremblait rien qu'en racontant cela. Elle regarda ses mains avec des yeux apeurés, comme si elle redoutait qu'un jet de glace n'en sorte. Heureusement, il ne se passa rien.

Son frère posa une main réconfortante sur son épaule.

-Qu'est-ce qu'il nous arrive, Aless ? Continua-t-elle dans un souffle, comment est-ce possible ?

Le jeune garçon s'apprêtait à répondre, lorsque, d'en bas, une voix angoissée le coupa :

-Madoka ? Alessandro ?

Aranïi tome 1 : Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant