Chapitre 7

57 9 11
                                    

Madoka courait aussi vite qu'elle le pouvait, à travers les rues qui menaient jusqu'à chez elle. Bien sûr, il avait fallu que Mme Jenkins, le professeur de musique, les retiennent avec une interrogation surprise ! Comble de malheur, le collège St James Levy était l'un des rares collèges de New York dont les élèves travaillaient le mercredi après-midi - mais bon, grâce à cela, ils avaient toute la journée du vendredi de libre. Comme si la jeune fille n'était pas assez pressée comme ça ! Depuis que Maddie avait trouvé les toilettes vides, il y avait de ça à peu près une heure, tout son corps tremblait de stress. Aless avait quitté le collège. Sans rien dire à personne. Mais pourquoi ? Se sentait-il si mal que ça ? Pourquoi, alors, ne pas être tout simplement allé à l'infirmerie ? Maddie avait bien vu que son frère se sentait mal, et même plus encore... Elle se souvenait de la chaleur qui avait irradiée du corps de celui-ci, quand elle avait posé ses mains sur ses épaules, dans un geste qu'elle avait voulu réconfortant. Elle avait eu alors l'impression qu'un feu ardant avait consumé son frère de intérieur, le soumettant à sa chaleur, l'irradiant de douleur. C'était cette même chaleur qui avait pénétré ses mains, repoussant la jeune fille par la même occasion. Et Aless qui hurlait qu'elle s'en aille...

Mais qu'ai-je fait ?

Madoka sentit des larmes brûlantes couler le long de ses joues, alors qu'elle bifurquait dans une ruelle - un raccourci vers sa maison. Elle accéléra l'allure. Elle ne faisait même pas attention aux personnes qu'elle bousculaient sur son passage, quant aux obstacles, elle les enjambaient. Tout ce qu'elle voulait, c'était rentrer chez elle. Elle espérait - elle priait - pour que son jumeau y soit. De toute manière, il n'avait pas d'autre endroit où aller... Si ? L'inquiétude se fit de plus en plus grande, de plus en plus étouffante. Elle poussait la jeune fille à courir plus vite, faisant battre le sang à ses oreilles, lui murmurant toujours la même phrase : Ton frère a besoin de toi... Ton frère a besoin de toi...

Enfin, elle aperçut sa maison, et donna tout ce qui lui restait dans les derniers mètres qui la séparaient de celle-ci. Le portail était grand ouvert, et Maddie espérait que cela signifiait qu'Alessandro était bien là. Quand à la porte d'entrée, elle était... Fermée à clef. Madoka jura et se mit à fouiller nerveusement dans les poches de son manteau. Enfin, elle en sortit un trousseau, ouvrit la porte et se précipita dans la maison.

Mais il n'y avait rien. Tout était à sa place, rien n'avait bougé, et le seul bruit indiquant une présence humaine provenait de la respiration saccadée de la jeune fille. Celle-ci referma lentement la porte, et s'avança fébrilement dans le salon. Elle laissa tomber son sac mollement par terre, et ne prit même pas la peine de se déshabiller.

-Aless... ? Appela-t-elle d'une voix tremblante.

Pas de réponse. Madoka se précipita alors dans les escaliers, puis déboucha sur le couloir plongé dans le noir, toutes les chambres étant fermées. Il régnait ici une drôle d'ambiance, oppressante, inquiétante, et dont il s'en dégageait une drôle d'odeur... Une odeur de brûlé.

Madoka accourut à la chambre de son frère et tenta de l'ouvrir. En vain. Elle était fermée.

-Aless ? Paniqua Maddie qui redoubla d'effort pour faire céder la serrure, tu es là ?! J'en t'en prie, réponds ! Alessandro !

Mais elle avait beau pousser, tirer, secouer, la porte demeurait fermement close. Et pas la moindre réponse de la part du jeune garçon.

-Alessandro ! Cria sa sœur, si tu es là, il faut que tu me le dises ! Pourquoi ne réponds-tu pas ? Et bon sang, ouvre cette porte !

Mais rien. Seul le silence répondit à Maddie, laquelle se figea pendant une seconde, toute force de lutte l'ayant abandonnée. Puis, tout à coup, son cœur explosa. Ce fut alors un mélange d'angoisse, de panique, de colère et de tristesse qui s'empara de la jeune fille. Alors, celle-ci rassembla toutes ses forces et chargea la porte. Elle tapait et cognait dessus comme une folle.

-Arrête.

Madoka se stoppa net dans son élan. La voix qui avait prononcée ce mot, dure et pleine d'inquiétude en même temps, venait de derrière la porte. Et, malgré son éraillement, il n'y avait aucun doute, elle appartenait à Alessandro.

-Aless ? Appela Maddie dans un sursaut de joie.

Il n'y eut plus rien, d'un coup. Comme si le temps s'était arrêté. Puis, soudain :

-Écoute, Maddie. Désolé pour tout à l'heure. J'étais... Je ne me sentais pas bien.

-Mais tu vas mieux, maintenant ? Le coupa sa jumelle qui secouait la poignée dans l'espoir d'entrer.

-Attend, s'il-te-plaît. Pour répondre à ta question, oui je vais mieux, mais... Il serrait plus sage que je reste quelques temps à la maison. Dans ma chambre. Je... Écoute Madoka - sa voix s'était faite faible, d'un coup, presque suppliante - il m'arrive quelque chose. Et je ne sais pas ce que c'est. Mais vous ne pouvez pas m'aider. Alors, le temps que cela s'arrange, je vais rester ici. Mais ne t'inquiètes pas, surtout...

Soudain, il se tut, ne sachant plus quoi dire. Mais sa sœur, elle, savait :

-Tu me demandes de ne pas m'inquiéter ? S'indigna-t-elle d'une voix furieuse, mais tu te rends compte de ce que tu me dis ?! Tu me dit qu'il t'arrive quelque chose - de grave, qui plus est ! - et tu dit de ne pas m'inquiéter ! Aless, franchement ! Il faut que tu arrêtes, là ! Je sais que tu ne veux jamais nous causer des problèmes, à papa et moi, mais c'est trop tard, cette fois ! Tu ne vas pas bien, Alessandro, pas bien du tout ! Primo, tu m'ignores totalement depuis la dispute d'hier soir ; deuxio, après m'avoir hurler dessus, tu quittes le collège sans prévenir personne ; et tersio, tu t'enfermes dans ta chambre, en supposant que tu as quelque chose de grave et tu dis "Ne t'inquiètes pas" ? Alors, désolée, Aless, mais si, je m'inquiètes ! Et pas qu'un peu ! Et par tous les diables, ouvre cette porte !!!!!

Et elle recommença à secouer le battant. Il fallait qu'elle parle en tête à tête avec son frère. Qu'il lui explique ce qui lui arrivait. Ensemble, ils allaient trouver une solution, ensemble, ils allaient...

-Je suis désolé pour tout ce que je t'ai fait endurer, Maddie, se désola alors Alessandro, de l'autre côté de la porte. Je n'en fais vraiment pas exprès. En d'autres circonstances, j'aurai accepté ton aide... Mais là, c'est différent. Personne ne peut m'aider. Pas même toi.

Madoka arrêta de se déchaîner contre la porte - cette maudite porte qui restait fermée. Son frère avait parlé avec calme et résignation. Comme s'il avait accepter une sentence... Mais laquelle ? De toute sa vie, la jeune fille n'avait jamais entendu son frère parler de la sorte. C'était qu'il devait se passer quelque chose de très très grave.

Tous ses muscles se relâchèrent, tout en elle s'effondra. De nouveau, ses joues se trempèrent de larmes salées. Elle voulait aider son frère, savoir ce qui lui arrivait. Pourquoi devait-il toujours être le souffre-douleur du moindre évènement ? Ce n'était pas juste. D'un geste rageur, elle essuya de sa manche ses larmes. Elle devait faire quelque chose, elle devait...

-Je te laisses réfléchir, murmura-t-elle à son jumeau.

Puis, elle retourna en bas. Là, elle enleva ses chaussures et son manteau, et se rendit compte par la même occasion qu'elle avait chaud. Elle se laissa tomber dans le canapé. Sa tête s'orienta vers le téléphone et, pendant un bref instant, la jeune fille pensa appeler son père. Mais elle se ressaisit. Elle ne voulait pas l'inquiéter davantage. Déjà qu'il avait toujours peur pour eux...

Un gémissement de frustration s'échappa de sa gorge. D'habitude, elle trouvait toujours des solutions... Mais là, tout de suite, tout espoir l'avait abandonné. Quand soudain, elle se redressa. Ce n'était pas dans sa nature d'abandonner au premier obstacle ! Certes, son frère ne désirait pas d'aide, mais elle savait mieux que personne qu'il était borné. Elle trouverait un moyen, une solution. Il lui faudrait peu-être un peu de temps, mais elle y arriverait. Pour son frère, elle soulèverait des montagnes.                   


Aranïi tome 1 : Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant