Oikawa

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Le pain au lait, les aliens, le volley-ball et Iwa-chan, étaient les quatre choses que Tooru, dans son enfance, énonçait quand on lui demandait ce qu’il aimait.

En tant que petit dernier de la famille, il avait eu une enfance heureuse. C’était au collège –plus précisément lors de sa dernière année, qu’il avait appris ce que signifiaient vraiment le dépit, la frustration, le désespoir, la jalousie. Tellement de sentiments négatifs accumulés sur les frêles épaules d’un sixième, d’un nouveau venu, aux grands yeux bleus candides. Il s’appelait Kageyama Tobio ; mais après quelques mois, Tooru, par dérision, préféra l’appeler Tobio-chan. C’était plus personnel, plus ironique, et rabaissant. Le rabaisser, oui, qu’il reste en bas, loin en dessous de Tooru, qu’il ne s’approche jamais –c’était sa phobie. Etre dépassé. Devenir moins bon, se faire rejeter des autres, rester sur le banc, cesser d’être le meilleur. Ça lui donnait des cauchemars, le volley n’était plus un loisir pour lui, mais une guerre constante ; il se sentait épié, il ne souriait plus. Il avait découvert des zones d’ombres en lui, qu’il ne connaissait pas, jusqu’à la violence, et ça lui avait fait terriblement peur. C’était une triste époque pour Oikawa. Le lycée lui avait donné un nouveau départ, et la carapace qu’il s’était construite toute l’année, souriante et futile, qui couvrait tous les recoins sombres de sa personnalité, ne l’avait jamais quitté.

Tooru secoua la tête et ramena son esprit sur ses devoirs. Il ne savait pas trop pourquoi il repensait à tout cela maintenant, mais ce n’était pas le moment. Il termina son exercice en deux phrases, satisfait de lui-même et de ses excellentes notes, et lança un regard circulaire et ennuyé autour de lui en se demandant comment s’occuper à présent. Il était 22 heures, Iwaizumi n’allait pas tarder à rentrer. Tooru bâilla et considéra l’idée de se faire un thé. Il alla déverrouiller la porte pour son copain, et en passant devant le calendrier, marqua au fluo que le jour se terminait -le mercredi 16 septembre.

Il était devant une téléréalité absolument abrutissante, la tasse de thé à moitié vide dans ses mains, quand Hajime rentra. Tooru entendit d’abord la porte s’ouvrir et se fermer, et le soupir de soulagement d’être enfin chez soi ; puis le claquement des chaussures contre le mur, le sac abandonné dans l’entrée, et Iwaizumi apparut dans le salon.

Ses yeux, d’un gris perçant, étaient soulignés par des cernes mauves et ses sourcils épais étaient froncés, comme toujours, dessinant de petites rides sur son nez. Il n’avait pas changé sa manière de se coiffer depuis qu’Oikawa le connaissait, ce qu’il n’avait pas fait non plus d’ailleurs ; les cheveux d’Iwaizumi, d’un châtain très foncé, étaient hérissés en piques tout autour de sa tête. Il portait une chemise blanche, qui contrastait avec la couleur de sa peau tannée, et ses mains épaisses d’attaquant dénouaient sa cravate d’un geste las. Il paraissait épuisé.

Iwaizumi se laissa tomber dans le canapé à côté de Tooru, et le mouvement soudain manqua de faire déborder le thé, qui, par précaution, fut posé sur la table basse. Oikawa tourna la tête vers Hajime, et posa sa tête sur son épaule, délicatement, y trouvant une chaleur réconfortante.

-Ça été ? demanda-t-il.

Iwaizumi ne répondit pas et souffla encore, en ébouriffant les mèches de cheveux de Tooru, qui sourit, par convention. Il en avait tellement l’habitude qu’il ne pouvait se réfréner de sourire que difficilement, même dans les moments gênants. Rire, sourire, faire des signes de paix, des clins d’œil, tirer la langue. Il n’y avait qu’Iwaizumi pour comprendre tout ce qu’il y avait au-delà de ça. Tooru lia ses doigts à ceux, rugueux, de son petit ami, qui les compressa mollement, presque sans conviction, songea Tooru en faisant cette fois une moue.

Iwaizumi se pencha un peu et Oikawa releva la tête pour le regarder dans les yeux, l’éternel sourire jouant sur ses lèvres. Il se sentait un peu nostalgique, et avait besoin d’attention –besoin d’amour. Une étreinte, un baiser, quelque chose. Durant la dernière semaine, il n’avait presque pas vu Iwaizumi, et il en avait assez de se sentir tellement seul. Et Tobio ne daignerait pas donner signe de vie non plus, bien sûr –il se sentit encore plus mal, et cela dût transparaître sur son visage, car Iwaizumi inclina la tête pour l’embrasser dans le cou.

Des Coeurs et des CorpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant