La chute

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Mardi matin, au alentour de 9 heures et demi. Je traversais la rue pour rejoindre l'arrêt de bus. J'avançais légèrement, je voltigeais au dessus du monde, comme à mon habitude.

J'entendais des rires, des garçons et des filles qui parlaient fort. Je sentais les fumées de cigarette ou autres qui titillaient mon odorat, pas prêt pour ces odeurs de si bon matin. Puis je suis monté dans le bus lorsque j'ai aperçu le mien, toujours en lévitant. Évitant les passants et les femmes et leurs poussettes.

Le trajet passé à rester en apnée pour ne pas avoir à supporter les odeurs de bébé ou celle de papa se remettant à peine de sa cuite, je sort du bus à toute vitesse.

Je continue de toucher les nuages, faisant semblant d'être invisible. J'avance, croisant les autres sans les voir. Ils sont là à côté de moi, pourtant certains ont l'air de léviter eux aussi. J'arrive à la gare, vais-je être en retard? Certainement, j'aurais dû prendre le train de 9 heures moins vingts. Je cours cherchant le bon quai, espérant ne pas arriver pour le voir partir.

J'entends les gens parler, un groupe de personnes s'est mis à chanter, quelqu'un achète un café, le monde continue de tourner.

Je continue de voler.

J'esquive les personnes. Je suis trop haut et je n'ai pas le temps. Pas le temps de m'intéresser au reste du monde, je continue à courir jusqu'à en perdre haleine. De toute façon même si j'avais le temps je n'aurais sans doute pas fait attention à ce groupe d'ados qui reprend une chanson de SOAD, ou bien consoler cette femme qui pleure seule en attendant son train, ou encore aider cette jeune fille qui a laissé tomber quelques centimes de ses poches. Je sais c'est égoïste, mais à force de monter de plus en plus haut je suis peut être devenu quelqu'un de méchant, quelqu'un d'insensible. J'ai peut être oublié comment être moi même.

J'arrive enfin à bon port et monte in extremis dans une des rames du train qui était blindé. J'étais en retard, ça n'en faisait aucun doute. Il était 10 heures et quelque minutes en moins. Mais cela comptait peu.

Je me laissais transporter par la musique que mes écouteurs diffusaient. Mitaines enfilées prêtes à tripoter la barre pleine de microbes et autres cochonneries que les voyageurs auraient pu laissés par là.

Quelques longue heures plus tard j'étais arrivé à Paris. Prêt à partir à l'aventure avec quelque heures de retard, le coeur et le corps léger d'avoir laissé derrière moi ce que je ne regretterai pas. Je flotte jusqu'à la sortie de cette grande et belle gare. Je regarde autour de moi et crois rêver. Je suis heureux d'être arrivé.

J'avance confiant, sacoche pleine à craquer d'un côté et valise de l'autre, je me sens léger, plus rien ne peut m'arriver. Je frôle le ciel du bout des doigts, ne regardant pas où je mets les pieds.

Je marche plusieurs heures, je ne sais où aller. J'ai rendez-vous avec un ami d'enfance que je n'ai plus revu depuis belle lurette, je cherche mon chemin sans vraiment écouter les gens qui m'indiquent quelles routes emprunter. Je slalome entre les toits iconiques de la capitale.

Je pose mes yeux sur chaques visages, cacher derrière mes grandes lunettes noires et mes longs cheveux blonds. Contrairement à ce moment où le temps me manquait à la gare, désormais je pouvais faire ce que je voulais. Et j'en profitais, je faisais en sorte que chaques visages que je voyais restent gravés au moins le temps de cette journée dans ma mémoire.

Je souriais, heureux et plein d'entrain. Le vent me portais et je m'amusais à côtoyer les nuages, j'aimais cette sensation paisible, je crois que ça s'appelle la liberté.

Je regardais les gens, il y avait des blonds, des roux, des châtains, des auburns, des poivre et sel, des roses, des bleus. Puis il y a eu lui. Ce brun.

Il était aussi dans le ciel, il paraissait triste comparé à moi. Il marchait aux côtés de deux filles d'à peu près son âge, celles ci ne semblait pas en l'air. Il ne m'avait pas vu, j'ai dû retirer mes lunettes de soleil pour pouvoir apprendre son visage par coeur. Je ne m'attendais à rien, je le regardais juste. Il y avait de la beauté en lui, il y avait une sorte d'aura qui s'émanait de son être. Il avait l'air gentil et sensible. Je continuais de le regarder, sans impunité. Je continuais de sourir aussi.

Mais à ma grande surprise, il se passa quelque chose d'inattendu. Alors que je m'étais arrêté pour pouvoir le contempler, je le vis s'arrêter à son tour. Puis en parfaite synchronisation nous sommes tous les deux tombés à la renverse. Les nuages, le bleu du ciel, la brise. Plus rien ne nous retenais. Nous étions comme lâché dans le vide, on a fait le grand saut, on nous a laissé tombé. Méchamment. Sans nous prévenir, sans rien nous dire, sans nous expliquer. On nous a laissé tomber.

Ça nous a fait un peu mal, faut dire qu'on s'y attendait pas. Une fois les pieds sur terre, je me suis rendu compte qu'on était face à face. Il m'a demandé:

-" Toi aussi t'es tombé?"

Je lui ai juste répondu, presque ironiquement:

-" Ouais, alors c'est ça, tomber amoureux? "

•°Fin°•

Excusez moi, je crois que je t'aime -Newtmas-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant