Dixième Partie : La vieille dame

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-Aucun véhicule ne doit entrer dans le village ma fille, expliqua Maman Félicia

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-Aucun véhicule ne doit entrer dans le village ma fille, expliqua Maman Félicia. 

-Pourquoi ? Et pourquoi ai-je l'impression que nous voyageons dans le temps ? 

J'étais hors de moi. Mais j'essayais de me retenir. 

-Ken, ton esprit te joue des tours. Comme tous les écrivains, tu as une imagination débordante. Tu te fais des idées. 

Elle avait peut-être raison mais j'avais envie de lui dire qu'aussi débordante que soit mon imagination, je fus dupée comme une idiote par son fils et ses amis. J'étais sur les nerfs depuis qu'on avait pris le chemin sablonneux qui menait à ce village. Nous avions marché pendant presque trois-quarts d'heure puis nous avions  fait une pause sous un fromager géant. Il était quinze heures à ma montre et le soleil brûlait hommes, bêtes et végétation. Nous étions trempées de sueur, nous suffoquions. Maman Félicia sortit une bouteille d'eau de son sac et on se désaltèra. Nous reprîmes la marche vers je ne savais où. Nous étions entrées dans le village depuis vingt minutes, mais la marche continuait, j'étais crevée, exténuée. Je n'avais jamais été aussi fatiguée de ma vie. Maman Félicia semblait bien connaître ce lieu. Elle m'intriguait de plus en plus. 

J'avais tous les sens en alerte, je me méfiais. Cet endroit était aussi beau que flippant. Les femmes et hommes que nous rencontrions sur le chemin regardaient droit devant eux, leurs yeux fixaient un point lointain, ils semblaient ne pas nous voir. Mes pieds commençaient à trembler, j'avais la chère de poule et la bouche de plus en plus sèche. Maman Félicia poursuivait son chemin comme si de rien était. « A-t-elle remarqué ces étranges villageois ? Et comment font-ils pour avoir tous de si belles peaux, des chevelures aussi longues? Maman Félicia venait elle ici souvent ? Pourquoi m'a-t-elle conduite ici ? » étaient les questions qui se bousculaient dans ma tête. 

Ce que j'appelais un village, en réalité était beaucoup plus vaste. Il nous avait fallu presque deux bonnes heures pour aller d'un bout à l'autre. Lorsque nous arrivâmes à destination, Maman Félicia me prit la main. Elle me répéta ceci : 

-Ken, je sais que tu te poses beaucoup de questions mais je peux te garantir qu'il ne t'arrivera rien tant que tu garderas ta langue dans ta poche. 

-Mais pourquoi ? Man' dis moi ce qui se passe ? 

-Ken Bougoul ! martela-t-elle en me foudroyant du regard.Tu n'es plus une enfant. Tu te tais et tu me suis. C'est dans ton intérêt. 

J'ouvris la bouche puis la referma immédiatement. 

Maman Féli me donna un voile blanc qu'elle avait gardé dans son sac puis et dénoua son foulard avec lequel et couvrit ses cheveux.

Les concessions que nous dépassions étaient toutes en terre cuite, à l'exception d'une composée de trois cases de même dimension, devant laquelle se trouvait, une vielle dame. Elle était très menue, et ne dépassait pas le mètre cinquante, bossue et avait le dos courbé par le poids de l'âge. Sa peau n'était pas noire mais grisâtre. Son maigre corps était enveloppé dans une sorte de sari couleur ocre  qui lui recouvrait entièrement la tête et traînait comme une cape. Elle devait avoir au moins cent ans. 

Maman Félicia entra dans la demeure sans saluer la vieille, je fis de même. Elle nous emboîta le pas. Je sentais son souffle chaud sur ma nuque. On aurait dit qu'elle voulait me mordre. Je dus fournir un effort surhumain pour ne pas crier. Maman Félicia se dirigea vers une chambrette tandis que je jetais un œil derrière moi. Il n'y avait personne. La centenaire avait disparu. Je regardais autour de moi. Je ne vis qu'un mortier et des calebasses sales dans un coin, des tas de cornes et de peaux de bête dans un autre coin de la cour. Les deux autres cases étaient fermées. Il n'y avait personne d'autre à part nous. Je me hâtais de rejoindre Maman Félicia qui me regardait comme si j'étais une demeurée. Elle était sur le seuil d'une case/chambrette. Nous entrâmes et j'eus la frousse de ma vie en en découvrant la vieille bossue accroupie sur une peau de mouton (ou chèvre je ne savais pas).  Elle pointa un index vers deux autres peaux sur lesquelles nous nous installâmes. Elle toussota et cracha dans une boîte de conserve ébréchée. Maman Félicia m'avait-elle amenée chez une féticheuse ou plutôt une sorcière?

Je me tournais vers elle, mais elle restait impassible. C'était bizarre mais je me demandais comment Maman Félicia avait fait pour connaître cette vieille femme. Je savais qu'elle et le père de Max avait sillonné tout le pays, du Nord au Sud, d'Est en Ouest. Mais ce village, quand même, c'était autre chose. Quelque chose ne tournait pas rond ici. Ces habitants aux regards vides, ces accoutrements,  cette végétation surprenante et maintenant une sorcière...

La sorcière en question était maintenant devant moi, un encensoire à la main, elle faisait des cercles autour de moi. Me purifiait-elle ? Après cela elle prit un rameau, une plante et la machouilla, toujours sans dire un mot. Le nœud dans ma gorge grossissait. Je n'osais pas questionner Maman Félicia. La vieille dame vint tout prêt de moi, comme lors de notre entrée dans la demeure, elle était tout près, son souffle me brûlait. Puis elle me tendit une ceinture-talisman de cuir marron. Ma main tremblait quand je la saisis. La vieille sortit un instant et revint avec une grosse corne dans lequel elle mit la pâte de plante mâchée. Elle y ajouta un liquide verdâtre et mélangea le tout. Après cela, elle tendit la corne à Maman Félicia. 

-Trois petites gorgées par jour, pendant un moi, dit-elle d'une petite voix. 

Elle n'était donc pas muette la mamie. 

Après cela, elle prit, brusquement ma main et me brûla le poignet droit avec un couteau rougi par le feu que je n'avais pas remarqué. 

-Aïe, oh mon Dieu ! Vous êtes folle ou quoi? criai-je 

Elle me gifla avec une force que je n'aurais jamais imaginé chez une personne de cet âge. J'étais sidérée,furieuse. De quel droit se permettait-elle de lever la main sur moi ? Maman Félicia me prit la main qu'elle recouvrit d'un morceau de gaze blanc pour la bander. « C'est un cauchemar, c'est un cauchemar ! Je vais me réveiller » pensais-je. 

Sur le chemin du retour, j'observais  Maman Félicia comme si elle était une inconnue. Comment pouvait-elle croire qu'une féticheuse pouvait guérir mon addiction ? C'était totalement insensée pour moi. Comment une femme aussi intègre, intelligente ayant fait des études de mathématiques et de physique pouvait croire en ces charlatans. Mon poignet me faisait un mal de chien. Je priais pour que cela ne s'infecte pas par la suite( Dieu seul savait combien de personne cette sorcière avait marqué avec ce couteau). 

-Je ne laisserai jamais personne te faire du mal ma fille, dit Maman Félicia les yeux humides. Puis elle m'enlaca. Je pleurais comme une madeleine. Nous restâmes dans cette position jusqu'à tomber dans les bras de morphée... 

Il était une heure du matin quand je me réveillais. Maman Félicia dormait,  je ne voulais faire aucun mouvement brusque qui pouvait la réveiller. Dehors c'était le noir complet. Seules quelques véhicules roulaient encore. Le chauffeur se racla la gorge, je le regardais sur le rétroviseur, il portait une chemise beige d'une propreté douteuse et avait un visage fin,  à la peau très noire et une barbichette. Il avait remarqué que je l'observais. J'étais un peu gênée. Il me dit alors que l'on venait de dépasser Rufisque. 

(À suivre) 

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Celle Que Personne N'aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant