Chapitre 1: Serment

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6 mai 1234,

Baie de la Fahra

Cela fait trois ans. Trois longues années que j'attends. Trois longues années de malheur et de tristesse, de carnage et de pleurs. Trois longues années où nous avons dépassé le nombre de morts et blessés que nous, humains, pouvons supporter de voir.

C'est trop pour nous, beaucoup trop. Trois ans, c'est long. Trois ans de guerre, c'est immense. Ces trois ans sans voir ma femme et ma fille, m'ont poussé à bout: je n'en peux plus. Je ne peux plus subir ça. Je n'ai plus la force de me battre. Plus la force de m'avancer vers mes ennemis. Plus la force de les voir tuer mes amis.

Ils sont morts par dizaines au début, mais le nombre a vite dépassé les milliers. J'ai perdu tous mes hommes les plus fidèles. Un par un, je les ai vu fermer les yeux à jamais. J'ai traversé bon nombre de batailles sanglantes mais celle-ci n'a pas d'égale. Elle est pire que les autres parce que nous n'avons aucune chance de la remporter ! Et surtout, parce que nous ne pouvons appeler les autres États à l'aide au risque de déclencher une guerre civile... Ils n'accepteront jamais tout ce qu'on leur a caché, la magie et la vue des fées, elfes et Okitiens. Nous leur avons menti, nous voilà punis. Nous nous sommes pris à notre propre piège et nous en mourrons, tandis que cette bataille sera ignorée de tous.

Ça fait trois ans que j'attends, sur le front, une bonne nouvelle. Celle que les Aigles nous ont promise. Ils ont allumé l'espoir dans nos cœurs un jour, avant que, bravement, nous nous avancions vers les ennemis.

Cependant le feu de l'espoir doit être entretenu. Il ne peut survivre face à la tempête si on ne l'aide pas un peu. La première année, je l'ai alimenté avec ferveur. La seconde, j'ai mis des bûches dessus par principe, parce que je refusais d'ouvrir les yeux. Je me refusais à croire que nos dieux nous avaient menti. Cependant la troisième année, je n'ai plus réussi à faire semblant. Pas alors que mes généraux tombaient, pas alors que même les déserteurs n'étaient plus pourchassés.

La vérité c'est qu'il n'y a plus personne pour leur en vouloir parce que secrètement nous rêvons tous de faire pareil. Nous les envions. Ils sont chez eux, au chaud, près de leur famille. Ils revoient sûrement l'esquisse d'un faible sourire parfois, tandis que nous qui sommes restés, nous ne voyons plus que du sang. Du sang et la mort. La mort et la destruction.

Et puis nous ne pouvons pas nous permettre d'envoyer des hommes à la recherche des déserteurs: nous avons besoin de tout le monde sur le front.

J'ai renoncé à tout. J'ai arrêté de penser que je reverrai un jour mes proches, que la guerre allait se finir bientôt et que nous la gagnerions. J'ai ouvert les yeux et vu qu'ils étaient plus nombreux que nous.

Ils vont gagner. À moins que le Sauveur maudit n'intervienne. Mais le Sauveur maudit n'est pas au courant de tout ce carnage, sinon il serait déjà en train de nous encourager à mieux nous battre ! Il serait déjà dans les tentes de commandement en train de tout faire pour unifier les peuples !

Il ne nous a jamais laissé tomber, Lui. Sauf aujourd'hui. Alors je vous en conjure, si vous trouvez cette lettre, transmettez-la Lui ! Faites la passer à quiconque prétend savoir où Il se trouve. Peu importe qu'il mente ou non, nous avons besoin de saisir toutes les chances qui s'offrent à nous. Cette lettre doit l'atteindre !

Il faut qu'il la reçoive à tout prix ! Il faut qu'il sache que les hommes vont quitter la baie de la Farha, que les fées et les elfes ne veulent plus cohabiter, que les Okitiens eux-même n'arrivent plus à les calmer. Il faut que le Sauveur maudit soit averti que les nains n'ont pas donné de nouvelles, alors que nous avons terriblement besoin d'eux. Et surtout il faut qu'il apprenne que la seule chose qui nous rapprochait: fées, elfes, Okitiens et hommes, est en train de se briser.

Okitio [En Pause] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant