Elle jeta un coup d'œil apeuré autour d'elle, scruta un instant la sombre nuit dans laquelle elle progressait à grande peine, puis, certaine d'être seule, se remit en marche.
Son corps affaibli protesta quand il lui fallut passer au-dessus d'un rondin de bois. Lever les pieds requérait plus d'effort et de concentration qu'elle ne pouvait en fournir. Respirer posait déjà problème, alors franchir un obstacle, aussi moindre soit-il, était presque trop. Bien trop, en fait.
Mais la jeune fille devait s'abriter pour la nuit si elle voulait profiter de quelques heures de sommeil bien précieuses. Et son abri à elle se trouvait au-delà des ruines de la ville. Elle n'avait pas pu se résoudre à dormir au milieu de celles-ci qui ravivaient trop de mauvais souvenirs. Elle ne pouvait s'empêcher de revoir sa ville alors qu'elle était encore prestigieuse et imposante.
Un craquement retentit derrière elle et l'interrompit dans ses pensées nostalgiques.
Sa respiration s'affola et elle se retourna vivement. Rien. Elle n'apercevait strictement rien. Le cœur battant à tout rompre, elle posa délicatement un pied à terre. Sa démarche silencieuse lui permettait d'entendre la moindre brindille craquer.
Elle jeta un regard circulaire autour d'elle et inspira profondément pour se calmer. "Inspirer, expirer, penser à autre chose. Se calmer, ralentir les battements de son cœur."
Bientôt, elle arriverait dans sa petite cabane. Son refuge. Elle y trouverait son lance-pierre, seul objet précieux qui lui restait. Elle se maudissait de ne pas l'avoir emmené avec elle pour cette expédition, car son arme était la seule chose avec laquelle elle se sentait en sécurité depuis l'Attaque.
Depuis que sa mère avait été assassinée sous ses yeux ; sa sœur capturée par ces monstres ; ses frères envoyés à la guerre ; sa maison réduite en cendres ; ses amis tués ou faits prisonniers ; elle survivait seule, se baladant cahin-caha de part en part des ruines à la recherche de nourriture.
Depuis que par un miracle elle était devenue la dernière survivante de sa ville natale, elle vivait comme un fantôme en peine, sans goût pour la vie.
Miracle ? Elle n'en était pas sûre. N'aurait-il pas mieux valu qu'elle mourût comme les autres pour ne pas désespérer dans cet endroit désert qui la terrifiait ?
Survivre devenait de plus en plus compliqué. Chaque jour, elle redoutait le retour des monstres, ces gobelins qui l'avaient détruite, et traquait de son mieux de quoi se nourrir. Chaque heure, elle craignait le froid glacial, et ignorait si ce dernier ne la tuerait pas pendant la nuit. Et à chaque seconde, elle s'inquiétait pour ses frères et sœurs.
Elle vivait dans un cauchemar. Seule subsistait une petite lueur d'espoir au milieu de son cœur qui s'assombrissait de jour en jour. Cette flamme résistait tant bien que mal à la tempête. Malgré le vent et les intempéries, elle vacillait sans jamais s'éteindre et réchauffait la fillette.
Elle acheva les derniers mètres qui la séparaient de son refuge en accélérant du mieux qu'elle pouvait, puisant, haletante, dans ses dernières réserves d'énergie. Elle souleva la petite porte en bois toute humide et s'engouffra dans son abri de fortune.
Elle referma derrière elle et s'écroula contre le sol boueux, ses jambes refusant de la porter plus longtemps. Elle laissa son souffle s'apaiser, la tête collée contre le sol, l'oreille tendue, elle écouta avec patience le rythme de plus en plus lent de son cœur, apaisée dans l'illusion de protection qu'offrait son abri. Sa cabane ne la protégeait pas du froid mordant de la nuit, la maigre couche de tissu qui lui servait de vêtements ne la réchauffait pas. En lambeaux, mouillés et salis par la boue, ils étaient inutiles. Mais la fillette n'avait rien d'autre, alors elle les gardait contre sa peau frigorifiée.
Elle finit par retrouver la force de se redresser en position assise, réussit même à tendre son index vers son lance-pierre et le tint fermement entre ses mains. Elle n'avait pas oublié cette impression d'être suivie qui l'avait tant dérangée lors du retour jusqu'à son "chez elle".
Elle lutta contre le sommeil pour garder les yeux ouverts un instant, refusant de s'endormir tant que la nuit ne se faisait pas totalement silencieuse.
Elle grelotta un moment, puis réussit à se réchauffer en pensant à cette lumière inextinguible qui se dressait dans son cœur. Cette flamme nommée espoir, sa mère l'avait allumée avant de partir. Avant l'Attaque. Elle s'était approchée de sa fille et lui avait confié un secret auquel elle se raccrochait comme elle pouvait.
Cinq mots. Une phrase. Rien de plus. Juste assez pour laisser sa fille rêver.
Elle s'apprêtait à les réciter, comme tous les soirs, telle une prière qui la maintenait désespérément en vie, lorsque la porte s'entrouvrit doucement. L'intrus tentait de ne faire aucun bruit, mais le mouvement avait attiré le regard de l'enfant.
Elle fixa ses yeux noirs sur l'entrée de son refuge. Sans la quitter des yeux, elle positionna une pierre dans son arme. Elle la tendit devant elle, visant l'inconnu, prête à décocher le projectile, le tout dans un calme impressionnant. Elle n'avait pas peur. Elle était certaine que sa maman avait raison. Que ce qu'elle lui avait confié était vrai. Qu'elle survivrait.
Elle se fiait aveuglement à cette promesse. Peut-être était-ce lui ?
La porte acheva de s'ouvrir. Un homme aux traits dissimulés sous une large capuche entra dans sa cabane.
Le fillette ne prit pas le temps de l'observer, elle jugea que ce n'était pas celui qu'elle attendait depuis la mort de sa mère. Elle laissa son projectile partir.
Il aurait dû atteindre la poitrine de l'intrus, mais il resta figé à un centimètre du cœur de l'homme. Il sourit. D'un vrai sourire sincère qui se voulait rassurant.
La petite fille ne l'interpréta pas comme tel et se mit à hurler en reculant contre un des murs de sa cabane.
Alors, elle se mit à fredonner une berceuse de sa jeune enfance pour se rassurer, en fermant les yeux, agrippa de ses mains tremblantes un morceau de sa tunique en lambeaux. Elle sentit qu'elle allait bientôt se laisser submerger par les émotions. Elle se trouvait sur le point de fondre en larmes, de perdre tout espoir, de laisser la peur lui faire perdre tous ses moyens.
Alors, l'homme murmura cinq mots. Une phrase. Rien de plus. Les mêmes que sa maman. Juste assez pour que la fillette cesse de paniquer et se mette à pleurer de soulagement :
"Ton frère va nous sauver. "
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Okitio [En Pause]
FantasyLes dieux les ont abandonnés. Les gobelins les ont massacrés. Les baghros vont les envahir à nouveau. Le sauveur maudit n'est plus capable de protéger Okitio. À moins que... À moins qu'il n'agisse sans le consentement des divinités. À moins qu'il ne...