Chapitre 4: Le Passé Ressurgit

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Je m'adossai contre un arbre laissé sauf au milieu du campement. Je savais pertinemment que je n'en avais pas le droit, je n'avais que trop conscience que je devais partir, faire mon travail, aller aider n'importe où, bouger, faire mon devoir d'esclave.

Je le savais très bien, mais tandis que le regard méprisant du sauveur flottait devant mes yeux, je n'avais envie de rien. Qu'importait donc une quelconque remarque, personne ne ferait attention à moi un jour comme celui-là.

Pas alors que le sauveur noir était là, pas alors qu'il n'y aurait pas de combat aujourd'hui. Pas alors que les hurlements de joie couvriraient bientôt tout le reste, pas alors que nous allions en finir avec cette guerre.

Oui, qui se soucierait d'un esclave de la première classe en ce jour ? Personne. Alors, assis par terre dans le terrain sablonneux du campement, je dessinais, avec un morceau de bois sur le sol.

Je ne comptais pas arriver à une œuvre aboutie, je voulais juste penser à autre chose. J'avais l'habitude de dessiner avant, auprès de mes parents, sous leurs regards admiratifs. Je m'appliquais à la tâche et bientôt, j'oubliai tout.

Tandis que mon dessin prenait forme, j'arrêtais d'être obsédé par cette guerre, par cette vie d'esclave. Je ne me concentrais que sur les traits qui s'enchaînaient, se complétaient. Sur ce morceau de bois qui vibrait, valsant dans les grains de sable à toute allure. Sur mes doigts qui frottaient le sol pour effacer telle ou telle erreur, sur mes mouvements appliqués et ma respiration apaisée.
Dessiner, seul moyen qu'il me restait pour m'exprimer.

Une tape sur l'épaule me fit me retourner. La sanction allait tomber. La sanction allait être terrible. Dessiner... Dessiner bon sang ! En temps de guerre ! Mais que m'avait-il pris ?

Je secouai la tête et osai un regard furtif vers celui qui m'avait approché. J'en restai ébahi. Pourquoi n'était-il pas resté avec mon maître ? Que faisait-il ici ? Pourquoi s'approcher d'un esclave qu'il avait paru tant... mépriser ?

-C'est joli, lâcha-t-il à ma plus grande surprise.

Je me tournai, la bouche ouverte de stupeur vers mes gribouillis qui recouvraient le sable.
-Merci, bredouillai-je confus.
-C'est moi ? demanda-t-il un sourire aux lèvres.
-Oui messire.

Il se rapprocha du dessin, intrigué. Son regard ne cessait de passer de moi au sol. Le sol puis moi.

Je le regardai faire sans oser lui demander d'arrêter. Je n'avais jamais voulu que le sauveur se voie ! Mais au moins, j'avais été fidèle à la réalité. J'avais essayé de reproduire au mieux sa mâchoire carrée, son nez fin, ses yeux doux. Ses yeux verts, d'un vert profond, dans lesquels vibraient toutes sortes d'émotions. De la douceur à la détermination, en passant par la bienveillance et la colère.

Aussi envoûtants que sa voix...

J'avais fait de mon mieux pour faire apparaître sa tunique noire, aux reliures sombres dans les tons bruns, verts et gris. Ses bottes souples, noir corbeau, en cuir, lacées.

Je m'étais appliqué à faire son arc à double courbure avec soin, représenter le fourreau accueillant sa longue épée au manche brillant. Et surtout, surtout j'avais veillé à ne pas oublier son insigne de sauveur, ce qui le distinguait d'un autre soldat: le sceau en forme de cœur, noir, qui pendait autour de son cou.

Le cœur serré par l'angoisse, j'attendais sa réaction.
-Tu es doué.
Je hochai la tête en guise de remerciement, la gorge trop nouée pour parler.

Peut-être qu'après ça, il arrêterait d'être répugné par les esclaves ? Il pourrait envisager de revoir son opinion et de les ignorer simplement...

Okitio [En Pause] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant