J'APPOSE LE COTON sur mon menton. L'alcool vient me brûler la peau, m'arrachant une grimace des plus expressives dans la glace de la salle de bains.
Après avoir récupéré ma voiture deux rues plus loin, j'ai miraculeusement réussi à éviter toutes présences dans l'appartement. Charlie semble être resté au travail, Astrid dort et ma sœur est sortie faire les courses. J'ai la maison pour moi tout seul.
Habituellement, le week-end, je tourne en rond. Je passe mon temps à faire le ménage dans notre appartement qui ressemble à un magasin Ikea, ou assis sur le canapé, à regarder des stupidités devant la télévision et les mêmes films que j'avais déjà vus cent fois. Mais cette fois-ci, j'ai envie de faire quelque chose de différent. De changer mes habitudes.
Lorsque je retourne dans notre cave, le même sentiment que j'avais ressenti lorsque j'étais retourné dans la forêt surgit. Cette impression de pénétrer dans un lieu hors du temps, qui n'a pas bougé depuis que vous l'avez quitté, comme si, étrangement, le temps avait désiré ne pas vouloir s'écouler dans cette partie du monde. Tout se trouve à la même place que dans vos souvenirs, recouvert d'une fine couche de poussière.
Personne n'est venu dans la cave depuis au moins deux ans, quand ma sœur s'est décidée à quitter l'appartement pour aller vivre avec Cheyenne. Elle est restée à l'abandon depuis tout ce temps, et rien n'y a bougé. Je pourrais m'y retrouver paupières closes, me fiant seulement à ma mémoire.
Glissant entre les cartons, je me fraye un passage jusqu'au fond de la pièce, faiblement éclairée par une lumière blafarde aux teints jaunâtres. Mes affaires sont toujours là, m'attendant dans la pénombre, laissées là avec pour seul espoir que je revienne un jour les chercher. Je ne pensais pas que ce jour viendrait. Au début, j'y avais cru, et je voulais y croire, puis l'espoir s'était enfui. Et aujourd'hui, il est revenu, subitement. Me voilà face à ma pochette à dessin, mon chevalet, mon matériel de peinture, pris par la poussière du temps.
Le jour est venu. Il est temps pour moi de faire ce que j'avais toujours su faire et que je croyais envolé.
Créer.
❁❀❁❀❁
Il y a moins de gens que ce que je pensais. Le Lincoln Park, nommé ainsi en l'honneur du président qui l'a ouvert et fait la gloire passée de la ville, semble désert en cette matinée de fin d'hiver. Après plus de quarante minutes de marche, mon matériel dans le dos, j'ai atteins mon lieu favori du parc, la Place Des Arts, qui ne porte pas si mal son nom : perchée au-dessus du parc, peu sont ceux qui osent venir jusqu'ici, en dehors des quelques artistes en quête d'inspiration. De là-haut, la vue sur le reste du parc est imprenable. On se prendrait presque pour Dieu qui observe ses créations aller et venir. Retirant mon sac de mon dos, je m'approche de la rambarde pour mieux admirer cette vue que tout le Michigan nous envie.
Face à moi, étincelant sous les rayons matinaux du soleil, le lac Huron étend son bleu pur sur l'horizon, attirant à sa surface plusieurs embarcations voguant au gré de ses vagues. D'ici, elles sont trop petites pour que je puisse distinguer ceux qui se trouvent à leur bord, je ne peux qu'admirer leur lente promenade sur l'étendue bleuté, leur donnant presque l'impression de voler entre ciel et eau.
Au sud de la Place Des Arts se trouve l'étang Jefferson, où nous adorions passer notre temps lorsque nous étions enfants, Alexandria, Matthew et moi. Nous passion la plupart du temps à voir qui avait le meilleur chrono de tour d'étang, même si nous savions aussi bien tous les trois qu'Alexandria nous battrait toujours. Nos parents nous observaient depuis la terrasse du salon de thé d'Alice aux Pays Des Merveilles, dont la décoration psychédélique m'avait toujours laissé à la fois effrayé et subjugué. Lorsque nous avions fini de courir en tout sens, Matthew aimait m'emmener au musée Lafayette, au bord du bassin central, où il ne se lassait jamais d'observer les œuvres impressionnistes qui y trônaient. Il trouvait toujours quelque chose de nouveau à dire sur chacune d'entre elles, et je resterais là, à l'écouter parler, même si j'étais incapable de voir ce qu'il y voyait, simplement parce que son ton passionné me passionnait à mon tour.
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Le Chant des arbres
General FictionPenthourne est une petite ville du Michigan, typiquement américaine : le capitalisme règne en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa bedaine et à embellir son héritage. C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu qui recherche l'Inspiration...