Chapitre 4 : Patrick ou le Barbecue de Mars

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APRÈS PLUSIEURS MANŒUVRES, je finis par stopper ma voiture, garée entre deux autres dont le prix doit être supérieur à mon salaire annuel. Face à moi se dressent les premiers arbres de la forêt, immobiles et silencieux. Parfois, le vent vient doucement souffler dans leurs branches, leur redonnant un soupçon de vie.

Cette fois-ci, j'ai préparé tout ce qu'il me fallait si jamais je me retrouvais encore à dormir dans la cabane. Mon sac à dos sur les épaules, chargé d'une batterie portable, d'un en-cas, d'eau, d'une couverture et d'une tenue de rechange, je quitte ma voiture et m'élance entre les végétaux qui dressent leur hauteur vers le ciel, obscurcissant le sentier.

Je marche d'un pas assuré, presque mécanique, rapide et régulier. Les journées ont beau s'allonger, la nuit vient recouvrir la Terre de son voile toujours aussi tôt, et j'aimerais bien atteindre la clairière avant le crépuscule. Si jamais quelqu'un s'y trouve réellement, il y a plus de chances qu'il y soit en plein jour, surtout en plein hiver.

Les oiseaux chantent toujours autant que la dernière fois, mais leurs sifflements me paraissent plus lointains. Comme s'ils avaient pris de la hauteur et qu'ils s'étaient éloignés. A moins qu'ils ne préfèrent ne pas s'approcher de trop près du sentier, ce en quoi je les comprends. Une atmosphère étrange s'échappe de ce chemin, bien trop de fois utilisé par des gens inconscients. Plus d'une fois, j'aperçois des détritus, laissés là par des promeneurs sans respect, que je m'empresse de ramasser. « La forêt de Huron fait parti du patrimoine national et doit rester un domaine protégé ». Parfois, la logique de certains américains me dépasse.

Il n'y a personne. Pas même la trace d'un quelconque passage. Comme si plus personnes ne passaient par ici depuis des années. Le sentier n'est presque pas emprunté, à en juger par les traces de pas absentes et les restes intacts de la dernière chute de neige. Seuls les détritus témoignent d'un passage. Je sais que nous sommes en semaine, mais je me rappelle que, lorsque j'étais adolescent, et que mes parents m'avaient - enfin - laissé un peu de liberté, je sautais sur la première occasion pour aller me promener dans la forêt. Les arbres me renvoyaient en écho mes chants, dressaient le décor de mes dessins, m'insufflaient l'inspiration pour mes écrits. A bien y réfléchir, je ne sais pourquoi je ne suis pas revenu ici plus tôt. Pourquoi j'ai attendu quatre ans avant de remettre les pieds dans mon théâtre de l'art.

Une odeur surprenante m'assaillit les narines, me sortant de mes pensées. Elle vient de ma droite, et me chatouille les cellules olfactives depuis une dizaine de secondes. Je sais que je la connais, mais je n'arrive pas à retrouver clairement l'endroit où je l'ai senti pour la dernière fois. Je m'arrête dans ma marche, paupières closes pour mieux me souvenir. La cuisine de mon ancienne maison, lorsque je vivais encore avec mes parents, la porte-fenêtre menant à la cour arrière, ouverte. La cour est bondée de membres de ma famille, plus ou moins connus, rassemblés sous une bannière en l'honneur du 4 juillet. Le ciel est chaud et bleu, sans nuages.

Nos barbecues annuels pour la fête nationale.

Ca sent le brûlé.

En temps normal, je n'aurais pas réagi. Je me serais dit qu'un restaurant à l'hygiène douteuse se trouvait dans le coin, et que je ferais mieux d'aller trouver un Taco Bell si je voulais manger quelque chose qui ne me rendrait pas malade pendant des jours. Je n'ai jamais aimé les barbecues, l'ambiance bien trop américaine qui venait prendre notre jardin durant cette journée, où tout les Bronx venaient à Penthourne, et où mes parents faisaient la guerre avec nos voisins pour savoir qui avaient la meilleure décoration de jardin envers la patrie. Le barbecue empestait toute la journée et je n'avais pas le droit d'aller dans ma chambre pour dessiner, contraint de me coltiner mes cousins insupportables.

Le Chant des arbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant