-« ET DU COUP, il fait parti du groupe ? »
J'acquiesce.
-« Et tu sais quand est-ce qu'ils vont partir ?
-Alexandria m'a dit qu'ils essaieraient de rejoindre New York durant le mois de juillet, au plus tard. Ils nous auront quittés avant la fin de l'été.
-Tu sais ce que ça veut dire ça, Alex ?
-Euh...non.
-Si on veut rester en coloc', faudra qu'on se trouve un nouvel appartement. A moins que tu ne préfères vivre dans ton propre appartement ? Ou rejoindre celle chez qui tu passes tous tes vendredis et lundis soirs... »
Je ne réponds pas. Astrid a le don de m'agacer parfois, mais j'ai juré de ne pas me mettre en colère contre elle ce soir. Malgré son air rieur, je sens bien dans à son ton qu'elle me reproche de ne pas tout lui dire. Il fut un temps où nous étions confidents et nous parlions de tout, mais c'est une époque révolue. Je n'ai pas envie de lui parler de Jonathan. Pas maintenant.
Je dois reconnaître que, lorsqu'elle le veut, Astrid sait se mettre en valeur. Ce soir, elle a délaissé les salopettes tachées de peinture qu'elle aime tant porter, les troquant contre un pull rayé noir et blanc, une jupe bleu marine ne lui arrivant qu'au genoux et des bottines que je ne lui connais pas. Serait-elle aller s'acheter une nouvelle tenue ce matin même ? Je l'ignore, et ce n'est pas réellement ce qui me préoccupe à l'instant. J'ai proposé cette soirée pour que l'on oublie cette sombre querelle qui nous lie depuis plusieurs mois, et elle n'a rien de plus comme but que celui de renouer les liens d'une amitié brisée. Peu importe ce que les passants dans la rue peuvent penser de nous deux.
Un petit sourire vient éclairer mon visage quand je repense à l'hypothèse farfelue de Jonathan sur le couple fictif Alexander/Astrid. Celui-ci ne peut et ne pourra jamais exister. Certes, elle est loin d'être laide et elle est même plutôt mignonne, et, si sur le point centre d'intérêt nous nous entendons bien, il n'en est pas le cas de nos caractères, peu complémentaires. Je ne ressens aucune attirance pour la personne de Mlle Grant. Débat clos.
-« Deux places pour...
-Brimstone », murmure Astrid.
-« Pour Brimstone, s'il vous plaît », je demande à la guichetière, une quarantenaire aux cheveux grisonnants semblant avoir abandonné l'idée de faire carrière ailleurs.
La dernière fois que je suis venu dans cette salle, il n'y avait que peu de monde, contrairement à ce soir. J'ignore tout du film que je vais voir ce soir, et je n'ai même pas vu l'affiche sur la devanture. Dans l'inconnu total, je m'assois sur un des sièges, rejoins par Astrid. La salle est agitée par quelques groupes de gamins braillards un peu partout dans les rangées. Ma colocataire aurait-elle choisi un film d'horreur de bas niveau à screamers incessants ? J'essaie de lui faire confiance, même si ce n'est pas mon genre de prédilection. Je suis plus dans les bons vieux thrillers pour tout ce qui est effrayant.
A mon grand soulagement, à l'instant même où les lumières s'atténuent, le silence se fait. Comme un automatisme, l'annonce du début de séance calme la foule, qui dirige son regard vers l'écran géant qui lui fait face, prête à quitter son monde, oublier la chaise dans laquelle elle est assise, pour voyager de l'autre côté du voile, là où les images deviennent réelles. Est-ce une habitude ou un geste inconscient, je prends une plus grande inspiration avant que le film ne démarre, lorsque le nom des sociétés de production s'affiche sur l'écran, comme si je me préparais à partir à l'aventure.
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Le Chant des arbres
General FictionPenthourne est une petite ville du Michigan, typiquement américaine : le capitalisme règne en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa bedaine et à embellir son héritage. C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu qui recherche l'Inspiration...