Chapitre 2 : Un Renard Végétal

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LES CLIENTS S'ENCHAINENT dans l'agence au fil de la journée. Un homme veut préparer une surprise à sa femme en l'emmenant aux Seychelles, un jeune couple souhaite organiser son voyage de noces en Europe, une famille désire partir une semaine aux Bahamas. Mes doigts tapent sur le clavier, recherchent les hôtels, les vols, les activités et les transports pour chacun, respectant les contraintes de chaque client. Je soupire souvent. Les photos des différents sites me donne envie de voyager. D'aller moi aussi en Europe, de voir Big Ben, la tour de Pise et Prague. Ces lieux me font rêver depuis que je suis enfant. Je me souviens que dès mon plus jeune âge, j'aimais regarder les émissions documentaires sur le monde, celles qui n'intéressaient personne. Je pouvais rester des heures à en regarder, à retenir chacun de ces paysages que je ne pourrais jamais voir en vrai, parce qu'en avions pas les moyens.

Peut-être qu'au fond, c'était cette envie perpétuelle de voyage qui m'avait fait venir ici, dans l'agence de voyage de Mr. Lexington, plutôt que d'accepter le travail que mes parents m'avaient proposé dans l'industrie de textiles de mon oncle (et aussi accessoirement le fait que l'industrie se trouve dans un trou perdu du Montana, ce qui ne m'avait pas réellement donner envie d'aller séjourner avec les vaches. Je préfère de loin Penthourne.)

Régulièrement, le téléphone de Peter sonne, suivi la plupart du temps par un bruit de clavier ou d'un crayon qui griffonne un papier. Le reste du temps, il ne prend aucune note et discute juste au téléphone. Deux à trois fois par jour, durant trente à soixante minutes. Je ne dirais rien, mais je me doute bien qu'il n'y a pas que des clients qui l'appellent. Depuis quelques temps déjà, ces petits manèges ont commencé. Je ne fais comme si je n'entendais pas la conversation, mais je surprends parfois quelques messes basses. Étrangement, dès que le dirigeant passe dans le bureau, le ton de sa voix augmente, parlant de budgets ou de vol avec escale. Une fois, désirant me rendre utile, j'avais même décroché son téléphone pour prendre ses appels, et j'étais tombé sur une certaine Theresa qui ne semblait pas vraiment s'intéresser aux monuments parisiens.

Je connais Peter depuis bientôt trois ans. Nous n'entretenons que des relations de travail, mais je n'irais rien dire. Après tout, peut-être que cela pourrait me servir un jour, où je ferais une énorme bourde. Je ne suis pas du genre à faire du chantage. L'idée même me répugne. Mais, si ça peut servir à le remplacer pour les repérages sur place, je n'irais réellement pas dire non...Mes rêves d'espaces prendront le dessus sur mes relations avec autrui.

Et puis, vu le genre de relation que j'entretiens avec les autres...

Astrid est partie tôt ce matin, en claquant la porte. Elle a dû croiser Charlie qui rentrait, car je fus le seul à grogner. J'ai toujours dû mal à comprendre pourquoi elle s'est mise en colère contre moi hier. Je ne lui ai rien fait. Mes problèmes sont les miens et je ne souhaite pas les partager avec les autres. Elle est déjà bien trop occupée avec ses multiples travaux à réaliser contre la montre pour se préoccuper d'un adulte encore adolescent qui n'arrive pas à trouver l'inspiration pour réaliser des œuvres médiocres. Cette inquiétude ne lui ressemble pas. Elle prétendait faire passer un message de la part de ma sœur, mais ce n'est pas son style de ne rien dire en face. Et si ma sœur s'inquiétait vraiment, elle serait là. Elle ne le dit pas, mais je sais très bien qu'elle avait emménagé dans notre appartement pour garder sur un œil sur moi. Depuis mon accident, elle s'était mise en tête de faire médecine pour pouvoir me soigner à tout moment. Malheureusement, le sort en a décidé autrement et sa carrière d'athlète avait pris une ampleur inespérée. De toute manière, je n'aurais pas supporté d'avoir une mère poule pour vérifier que je n'avais rien de cassé chaque matin.

Le Chant des arbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant