Le Chant des arbres

Chapitre 13 : Le Saut de l'Ange (2)

JONATHAN S'EST ALLONGÉ SUR LA PENTE DU VOLCAN, comme s'il ne sentait pas les dizaines de rochers sous son dos s'attaquer à sa peau. D'un air nonchalant, il glisse ses bras sous sa nuque et lance son regard vers le ciel, ou quelques nuages flottent.

- « Qu'est-ce que tu voies toi, là-haut ? » me demande-t-il en désignant les formes cotonneuses qui filent avec le vent.

Rejetant mes bras en arrière, je me penche tout comme lui et regarde à mon tour les cieux, à la recherche d'une quelconque forme reconnaissable dans les nuages.

- « Celui-là, on dirait de la barbe à papa », déclaré-je en désignant un cumulus plus cotonneux que ses voisins.

Jonathan tourne sa tête vers moi, me lançant un regard dépité, à la limite de la tristesse.

- « Mais qu'est-ce que je t'ai appris durant ces deux dernières semaines, toutes ces journées que l'on a passé ensemble ? » s'indigne-t-il en passant sa main devant ses yeux. « Tu me déçois beaucoup sur le coup. »

Je me tourne vers lui, sans trop savoir quoi dire. A quoi il s'attendait venant de ma part ? Je fais de nombreux efforts, mais je ne suis cependant pas comme lui, aussi doué pour voir toutes ces choses que personne ne voit. Du moins, je n'en suis plus capable, même si, grâce à lui, je perçois déjà une nette amélioration.

- « Allez Eleven, fais un effort. Regarde là-haut, et dis-moi ce que tu vois. Qui sait, peut-être que tu finirais par trouver l'inspiration qui te manquait pour ton gage. »

Retenant un soupir agacé face à ce « jeu » forcé, je me lance à nouveau dans la contemplation des cieux. Qu'aurait pensé l'Alex enfant en les voyant ? Il se serait sans doute dit que le monde était recouvert d'une cloche bleue, et que les nuages qui flottaient à son sommet était la fumée du repas terrestre. Cependant, je n'étais pas l'Alex enfant, et je savais que la Terre n'était pas recouverte d'une cloche bleue, mais d'une atmosphère qui filtrait les rayons du soleil, et que les nuages n'étaient pas de la fumée mais des gouttelettes et des glaçons en suspensions.

La science et le savoir ont tué mon imagination et mes rêves, l'Alex enfant qui régnait en moi. Pourtant, aussi contradictoire que cela puisse paraître, Jonathan et moi avons tenté de voler plusieurs fois ces derniers jours. J'ai réussi à me défaire de mon esprit scientifique l'espace de quelques instants en essayant de flotter dans les airs comme un oiseau. Alors peut-être, peut-être bien que Jonathan a raison, que, quelque part, cette part d'enfance et d'imagination est toujours présente, comme ces derniers jours en auraient témoignés.

« Réveille-la Alex. Réveille l'enfant qui sommeille en toi. »

J'ignore d'où provient cette voix, de moi-même, de Jonathan ou même d'un murmure du vent, mais je décide de l'écouter. Contrairement aux autres jours de la semaine, je vais arrêter de suivre l'imagination de Jonathan, toutes ces descriptions merveilleuses et riches du Pays imaginaire qu'il me fournissait pour m'aider à voir ce que lui voyait, à avancer dans le même monde. Lorsque j'ouvrirais les yeux, je verrais mon propre monde.

Un petit cumulus s'avance lentement au-dessus de ma tête, suivant un autre, bien plus gros. Les rayons crépusculaires du soleil qui débute sa descente leur donnent une teinte rosée, comme s'il s'agissait d'une truie et de son porcinet. Bientôt ils laissent place à une nuée de cirrus, semblables aux cheveux de la vieille dame qui règne dans les cieux, suivi par quelques cirro-stratus formant son voile dont elle se sert toujours pour ne point être aveuglée par la lumière du soleil. Dans le ciel serein, les formes et les histoires s'enchainent, et, au fur et à mesure que j'en fais par à Peter, je sens son regard joyeux se poser sur moi. Après quelques temps, il se lance avec moi dans la constitution de cette histoire improbable, à quatre mains et à des centaines de nuages, exagérant le moindre détail, oubliant totalement certains personnages qui finissent par disparaître à l'horizon.