Chapitre 9 : Le Baptême des Enfants Perdus

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JE COURS ENTRE LES ARBRES, filant comme le vent, aussi vite que le poids de mon sac de couchage sur le dos me permet. Cela fait à peine un mois que je viens ici, mais je connais déjà le chemin par cœur. Malgré l'absence totale de sentier et de chemin de randonnée, j'ai fini par trouver mes repères dans la forêt. Pourtant, je n'ai pas été capable de retrouver le renard que Jonathan avait peint sur un des arbres dans la forêt. C'est comme s'il s'était envolé, ou qu'il avait été effacé par les intempéries.

Pour une fois, Jonathan n'est pas encore arrivé dans la clairière. J'en profite pour aller déposer mon sac dans la cabane, où il a laissé une pile entière de feuilles blanches, de tous les formats dans un coin, recouvertes d'un plastique transparent pour qu'elles ne prennent pas la poussière. Des pinceaux, des crayons, des feutres et des stylos traînent çà et là sur le sol. Ma manie du rangement me donnent envie de tout trier et de mettre les choses en ordre, mais je retiens mes mains : je suis toujours aussi mal à l'aise de m'immiscer dans la vie de Jonathan, dans le seul endroit où il se sent un peu comme lui-même.

-« El' ? »

Je reconnaîtrais sa voix entre mille. Je me précipite vers l'ouverture et l'aperçoit à l'orée de bois ; même d'ici, je devine son sourire.

-« J'arrive, Peter ! »

Quelques secondes plus tard, mes pieds se posent sur la mousse qui amorti mon saut de plusieurs centimètres. Jonathan me rejoint en quelques enjambées, ses lèvres rose pâle s'élargissant pour témoigner de sa gaieté. Alors que nous nous faisons, je réalise que j'ignore toujours comme le saluer : dois-je lui serrer la main ? Non, ce serait bien trop solennel, ce n'est pas un inconnu. Et pourtant, si Jonathan n'est pas un inconnu à proprement dit, je ne sais rien de lui, pas assez du moins pour le considérer comme un ami.

Soudain, sans même que je ne m'en aperçoive, les bras de Jonathan s'enroulent autour de mon torse et viennent me coller au tissu épais de son sweat-shirt. Sa tête se pose dans le creux de mon cou, juste au-dessus de mon sternum. Ses cheveux soyeux viennent chatouiller ma gorge, manquant de me faire échapper un petit rire. Même au travers de ses vêtements, je sens la chaleur de son corps contre le mien.

-« Merci d'être là, El'. Je n'avais pas réalisé à quel point j'avais besoin de quelqu'un de nouveau, qui ne savait rien de moi. »

Ses mots me traversent de part en part, parcourant mon corps et se frayant un chemin jusqu'à ce qui doit être mon cœur. « J'avais besoin de quelqu'un de nouveau, qui ne savait rien de moi. » résonne en écho dans mon cerveau. Cette phrase décrit exactement ce que je ressens à cet instant même, ce que je ressens chaque fois que je viens ici. J'ai beau ne rien savoir de « Peter », sa présence même et le lieu où il se réfugie m'apportent un bien être inattendu. Je crois bien que c'est pour cela que je suis revenu la première fois à la cabane, alors même que je ne l'avais jamais vu : je m'y sentais bien. Dans ce petit paradis, à l'abri des regards, je me sens bien : bien dans ma peau, bien dans ma tête. Et la présence de Jonathan renforce cette impression de lieu impénétrable où seuls ceux qui en ont besoin peuvent trouver refuge. La cabane est le seul secret que j'ai pour moi, et je ne le partage qu'avec lui, et lui seul.

Ici, personne ne pourra jamais nous trouver.

-« Dis, tu veux te rafraîchir les idées ? »

Malgré ma réponse positive, « Peter » anticipe mes mots et, abandonnant ses affaires dans la clairière, me prend par la main et m'entraîne entre les arbres. Il accélère si vite que je manque de tomber plus de deux fois avant de réussir à trouver mon équilibre. Les racines entravent ma route, et je me demande où Jonathan m'emmène aussi vite. Sa silhouette, devant moi, joue avec les ombres du soleil descendant : il semble venir d'un autre monde.

Le Chant des arbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant