LES OISEAUX SIFFLOTENT autour de moi, et mes paupières papillonnent à cause de la luminosité soudaine qui vient saluer mes iris. Une nouvelle journée commence au milieu de la forêt de Huron. M'étirant, je fais craquer mes inexistants muscles dorsaux et m'aperçoit alors que quelque chose a changé dans la pièce. Le sac de couchage et replié dans un coin, l'emballage de club sandwich a disparu ainsi que le matériel de dessin et la guitare. Il est repassé pendant que je dormais. Je suis encore plus gêné d'avoir dormi chez lui. Si on peut appeler ça un « chez soi. »
Une odeur de bacons et d'œufs vient alors m'attaquer les narines, me réveillant complètement, me rappelant à quel point j'ai faim. Elle provient de la base du chêne dans lequel je suis perché. Je m'empresse de sortir de ma couverture pour aller voir, manquant presque de glisser sur les barreaux humides de l'échelle. La chute de neige de cette nuit n'a pas été longue et elle a déjà fondu : je plains les Irlandais.
Quelle n'est pas ma surprise une fois en bas, lorsque j'aperçois que je ne suis pas seul. Du moins, Alexander, réfléchit avec ton cerveau et non ton estomac : les œufs ne se cuisent pas tout seul, et encore moins le bacon.
Assis sur une des racines de l'arbre, tournant son petit déjeuner sur la grille de son réchaud de camping, se trouve le garçon que j'ai coursé hier soir, faisant tranquillement sa cuisine en écoutant The Offspring. Il a retiré sa capuche, mais porte une casquette, vissée à l'envers sur son crâne, d'où s'échappent quelques mèches brunes sauvages. Son visage est baissé, concentré sur son plat, et il met un certain temps avant de se rendre compte de ma présence et de relever la tête.
Ses yeux noisette viennent à ma rencontre, et il me lance un sourire, ses lèvres s'étirant le long de ses joues, faisant presque disparaître les iris de ses yeux légèrement bridés. Ses sourcils, aussi bruns que ses cheveux, renforcent son regard déjà sombre, qui rappelle un peu les teintes de l'arbre sur lequel il a élu domicile. Sa barbe est assez longue pour que j'en conclue que celui a qui je fais face a depuis longtemps fini sa puberté : il doit avoir a peu près mon âge.
« Merci de ne pas avoir pris mon sac de couchage », finit-il par dire, rompant notre échange visuel.
Il commence à retirer les différents aliments du grill, les plaçant dans deux assiettes en carton. Je reste silencieux, l'observant faire, me sentant étranger à cet homme. Je ne sais pas vraiment à quoi je m'attendais pour ce qui était du ou des propriétaire(s) de la cabane. Je n'y avais pas vraiment réfléchi, souhaitant plus savoir de qui il s'agissait plutôt que de qui c'était : enfant, adolescent, vieillard, femme, homme, riche, pauvre, étudiant, au chômage ou travaillant, peu m'importait. Mais je ne pensais pas me retrouver face à un garçon de mon âge, vêtu d'une veste noire au motif squelettique par-dessus un simple T-shirt gris, un jean noir troué aux genoux d'où pend une chaîne métallique, chaussé d'une paire de rangers qui avaient dû botter le cul de plus d'une personne.
« Viens manger, j'ai préparé le petit dej' », m'accueille-t-il en tendant la seconde assiette, que j'accepte plus par politesse que par faim.
Je n'ai pas envie de voler la nourriture d'un inconnu, même si je suis affamé.
Je m'assois sur une autre racine, en contrebas par rapport à lui, et l'observe manger, touchant à peine à mon repas. Je ne sais pas trop quoi penser de lui, son air insouciant sur le visage, ses sourires lorsqu'il me regarde, comme s'il était parfaitement normal d'inviter un inconnu à manger avec vous alors qu'il s'est tapé l'incruste à l'improviste dans votre cabane au milieu des bois.
Cette situation n'a aucun sens.
« T'as pas faim ? » me demande-t-il en voyant que je ne touche presque pas à mon assiette. « Ce serait dommage de gâcher... »
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Le Chant des arbres
Ficción GeneralPenthourne est une petite ville du Michigan, typiquement américaine : le capitalisme règne en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa bedaine et à embellir son héritage. C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu qui recherche l'Inspiration...