JE SUIS SEUL.
Paupières encore papillonnantes, je cherche un signe de vie dans l'habitacle de la voiture, mais il est désert. Où est Jonathan ?
Non sans difficulté, je m'extirpe de la Chevrolet, m'attendant à atterrir sur l'asphalte d'un bord de route. C'est avec surprise que mes pieds s'enfoncent dans un sol mou, terreux et un peu boueux, légèrement humide. L'herbe pleine de rosée mouille le bas de mon pantalon et je frissonne. Devant moi s'étale quelques mètres de verdure, menant à un lac immense. Allongé au bord de l'eau, pantalon relevé pour y faire tremper ses pieds, Jonathan chantonne en observant les nuages défiler dans le ciel bleu.
Où sommes-nous ? Je n'ai pas le souvenir de n'être jamais venu ici, mais cet endroit ressemble à tant d'autres dans le Michigan, que je pourrais confondre mes souvenirs. La même étendue aqueuse où viennent des dizaines et des dizaines de pêcheurs plus ou moins aguerris en quête d'un repas ou de détente, la même herbe verte l'encerclant, respirant la rosée et la fraîcheur de notre Etat, les mêmes conifères aux senteurs montagnardes, dont la résine coule le long du tronc, attirant les insectes, dont les bourdonnements résonnent à mes oreilles. Ici, comme partout ailleurs dans le Michigan. La même beauté naturelle qu'à des dizaines d'endroits dans notre région. J'aurais juste pu faire dix miles pour découvrir le même paysage dans la forêt d'Huron, alors pourquoi venir jusqu'ici ? Qu'y a-t-il de si spécial à ce lieu pour avoir roulé toute la nuit ?
-« Tu t'es enfin levé ? J'ai bien cru que tu dormirais toute la journée », fait Jonathan, rieur.
Il se redresse, des dizaines de gouttelettes d'eau parsemant ses jambes mouillées. Même après plus d'un mois, je ne me suis toujours pas habitué à sa taille largement inférieure à la mienne.
-« Alors, qu'en penses-tu ? » me demande-t-il, écartant les bras comme pour m'offrir la scène qui nous fait face.
Malgré toute mon affection pour lui, je ne peux lui mentir, je suis trop honnête pour ça. Son visage souriant, en attente d'une réponse, m'empêche encore plus de lui cacher la vérité.
-« Je suis un peu déçu, à vrai dire. Je m'attendais à quelque chose d'exceptionnel, mais je suis un peu triste de constater que nous avons roulé toute la nuit pour un paysage commun. Joli, mais commun. Rien avoir avec ce que j'imaginais du Pays Imaginaire. »
Comme s'il s'attendait à ce que je réponde ces mots, lisant dans mes pensées, Jonathan éclate de rire, s'approche de moi et vient apposer son doigt sur mon front, ses yeux noisettes plongeant dans les miens, mi-étonné, mi-agacé d'avoir été percé à jour si facilement. Mon ami lit en moi comme dans un livre ouvert, avec une facilité déconcertante, qui m'énerve un peu. Je croyais être un peu plus difficile à comprendre que ça.
-« C'est bien ce qui me semblait : tu n'as pas compris ce lieu. Dis-moi, enfant perdu El', t'es-tu déjà fait une image de ce à quoi ressemblait le Pays Imaginaire ? »
Je suis pris au dépourvu par la question. Si j'ai déjà imaginé à quoi il ressemblait, cela remonte à bien longtemps, bien trop loin dans mon enfance pour que je n'ai ne serait-ce qu'un souvenir flou du monde de Peter Pan. Et même, cette question n'aurait-elle pas un sens caché ? Ce que je lis dans les yeux de Jonathan, ce n'est pas une réponse simple, mais quelque chose de plus profond. Ce n'est pas la première fois qu'il se la joue psychologue, cherchant des réponses que je cherche moi-même inconsciemment. Quand ai-je imaginé quelque chose pour la dernière fois ?
-« Je ne sais pas... », Murmuré-je, si faiblement que j'ignore même s'il m'entend, à quelques centimètres de mon visage. « Je ne sais plus.
-Alors viens avec moi ! »
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Le Chant des arbres
General FictionPenthourne est une petite ville du Michigan, typiquement américaine : le capitalisme règne en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa bedaine et à embellir son héritage. C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu qui recherche l'Inspiration...