Durant un instant, je reste un bas de l'arbre, réfléchissant. Gay? Moi? Non. Je ne le crois pas. Je n'ai jamais été attiré par un homme. Du moins, il ne me semble pas. En ai-je le souvenir ? Non, je ne pense pas.
Et pourquoi est-ce que je me pose des questions ?
Qu'est-ce que ça change ?
En réalité, la seule chose qui me perturbe, ce n'est pas mon orientation sexuelle, mais plutôt l'identité de Jonathan. J'ai appris l'autre jour son nom de famille, mais trop de gens, rien que dans l'état de Michigan, porte le nom d'Adams. Et j'ai peur. J'ai peur de lui poser des questions, j'ai peur qu'il ne souhaite pas y répondre et qu'il ne veuille plus me parler par la suite. Il semble être si secret à propos de lui, que je crains de le blesser en le questionnant trop à ce sujet. Je laisse mes interrogations me brûler les lèvres, attendant un signe de sa part pour lui demander, mais je sais que, tôt ou tard, je finirais par lui demander.
La forêt semble si calme ce soir. Les oiseaux migratoires revenants du Mexique semblent dormir de leur long voyage, silencieux. Les bourgeons apparaissent sur les branches feuillues, mais semblent déterminés à rester clos. La neige a presque entièrement fondu, laissant derrière elle des filets d'eau menant au ruisseau. Dans cette paix totale, je reconnais l'arrivée du printemps : dans d'autres pays, au Japon, par exemple, ce sont les fleurs de cerisiers qui l'annoncent ; ici, dans le Michigan, c'est la tranquillité de nature qui s'éveille lentement. Bientôt, chaque élément de la faune et la flore retrouvera sa vivacité d'autant, avant que l'hiver ne l'emporte à nouveau.
La plupart des gens adorent le printemps. Ils aiment dire que cette saison est celle qui leur correspond le mieux, parce que c'est celle où tout devient vert, luxuriant, vivant, que tout s'éveille et se rit d'être présent. Ceux qui vous le diront qu'ils aiment le printemps sont souvent les plus joyeux, les plus souriants, optimistes face aux moindres problèmes. Ce sont qui s'émerveilleront face à la fleur qui s'ouvre, face aux cerises se balançant dans les arbres, qui passeront leur temps à se promener et à trouver un endroit où se baigner. S'il y a bien une leçon à tirer des gens que l'on rencontre, c'est que les printaniers seront toujours les plus agréables, serviables et généreux.
Je suis certain que Jonathan aime le printemps.
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C'est un repas silencieux. Tout du long, je cherche un regard égaré de Jonathan, qui ne cesse de regarder dans le vide autour de moi. Je crois que je l'ai vexé. Et je m'en veux. Son soudain mutisme, son air navré, me blessent sans que je sache pourquoi. J'ai l'impression d'avoir échoué dans une épreuve où il comptait sur moi pour l'emporter. Et son visage vide, son absence de sourire, me donnent d'autant plus le sentiment de ne pas avoir fait ce qu'il fallait.
Je cherche une manière de m'excuser, de lui dire que ce n'était pas vraiment ce que je pensais, mais Jonathan ne me croirait pas : personne ne revient sur ce genre de choses au bout de deux heures. Et pourtant, après maintes réflexions, je commence à comprendre son point de vue, sur le fait que les choses sont parfois dû au hasard et qu'on ne peut pas prévoir. Je n'y peux rien si j'ai été élevé dans la foi protestante et que l'on m'a toujours appris que les histoires de choix et d'hasard n'étaient faîtes que pour amuser les enfants et les pousser à croire en leurs rêves. Il est toujours difficile de se remettre en question,, de se libérer de sa culture en pensant comme l'autre pour se mettre à sa place. Pourquoi l'inconnu avec qui nous débattons aurait plus raison que nous sur ce que l'on sait depuis notre naissance ? Mais, parfois, je pense qu'il faut savoir effacer le chemin tracé pour en créer un nouveau. Aujourd'hui, je me dis que je devrais peut-être empoigner ma gomme, et commencer à effacer, et réapprendre à voir le monde, le redécouvrir avec les yeux d'un enfant perdu.
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Le Chant des arbres
General FictionPenthourne est une petite ville du Michigan, typiquement américaine : le capitalisme règne en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa bedaine et à embellir son héritage. C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu qui recherche l'Inspiration...