Chapitre 13 : Le Saut de l'Ange (1)

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A MON GRAND REGRET, le temps passe trop vite.

Chaque jour, Jonathan et moi nous levions tôt, partant explorer par notre imagination notre propre Pays de Nulle Part. Après avoir nagé avec les sirènes, manquant plusieurs fois d'être noyés par celles-ci, n'ayant pas vraiment compris que nous ne pouvions respirer sous l'eau, nous avions joué à cache-cache avec les Indiens, apprenant avec eux tout ce qu'il y avait à savoir sur l'île. D'autres pirates sont souvent venus, cherchant notre repère, mais nous les avons repoussés. Ils se réfugiaient toujours, lâches, sur leur bateau au milieu de la crique. Un jour, nous les avons même combattus depuis le bord de l'eau, et ils étaient tombés à l'eau, leur bateau manquant de couler.

Une autre fois, nous étions partis en exploration dans la jungle, en quête des créatures qui n'existent qu'au Pays Imaginaire. Nous étions ainsi tombés sur une colonie de fées que Clochette s'était sentie obligée d'investir, les repoussant pour qu'elle n'approche pas à moins d'un mètre de Peter. Elle avait beau nous suivre partout où nous allions, la petite fée ne semblait pas me considérer comme un obstacle à sa conquête de toujours. Etrange à dire, mais au vu de notre proximité, j'étais presque surpris qu'elle ne me considère pas comme tel.

Peter a tenté (en vain) de m'apprendre à voler, mais, mise à part quelques égratignures et quelques hématomes, cela n'avait pas donné grand-chose. Les douleurs ne m'avaient pourtant pas empêché de remonter en haut de l'arbre, et de tenter tant bien que mal de trouver une pensée positive. J'ai cherché dans plusieurs de mes souvenirs joyeux, la plupart dans ma plus tendre enfance avec Alexandria et Matthew, ou avec mes amis d'école, mais je n'ai fait à chaque fois que m'écraser sur le sol. Jonathan, après m'avoir vu essayé encore et encore, avait jugé qu'il valait peut-être mieux qu'il arrête de me montrer l'exemple, pour que je ne fasse pas plus mal que déjà.

Aujourd'hui, après avoir pris une journée de repos pour que je puisse me remettre de mes blessures de « leçon de vol », Peter et moi partons pour la Montagne Solitaire, le volcan du centre de l'île. Nous avons tous les deux fait un pari : Peter qu'il y aurait de la lave au fond du cratère, moi qu'il n'y en aurait pas, et nous nous sommes décidés à prouver que nous avions raison le plus tôt possible. Alors, à peine l'aube levée, nous nous sommes réveillés, fins prêts à partir toute la journée en expédition.

Malgré l'heure matinale, le soleil est déjà haut dans le ciel, et s'amuse déjà à darder ses rayons au travers du feuillage. Peter et moi nous frayons un chemin, silencieux, entre les arbres, lui devant et moi derrière, repoussant les feuilles et branches basses pour avancer. A bien y penser, nous avons peu parlé ces derniers jours, passant le plus clair de notre temps à penser à ce qui nous entourait, aussi bien en l'imaginant qu'en l'admirant. Pour autant, nos conversations habituelles, souvent enfantines, ne m'ont pas manqué : c'était comme si nous discutions par le biais du paysage, comme les peintres aiment s'exprimer en coup de pinceau.

- « C'est notre dernier jour ici, fait remarquer Jonathan, le ton neutre, sans que je ne sois capable de savoir s'il s'agit d'une affirmation ou d'une question. »

Je ne dis pas mot, lui non plus. Ce n'est qu'un constat.

Un constat d'une tristesse alarmante.

Je sens mes pas se faire plus lourd dans le sol meuble. Mes empreintes sont plus profondes, mes gestes plus lents, comme si ma charge s'était élevée. Est-ce juste une impression ou un poids me pèse-t-il réellement sur le cœur ? Le silence et l'air sont de plus en plus étouffants, et je me demande comment Jonathan fait pour se faufiler avec une telle aisance au travers des lianes qui entravent notre parcours.

Soudain, une racine plus haute que les autres vient trouver mon pied. Trébuchant, je m'effondre de tout mon long dans la terre, avec un bruit mas. Peter se précipite à ma rencontre, si vite que je me demande s'il n'était pas déjà prêt à me rattraper avant même que je ne sois tombé.

- « Tu n'as rien ? me demande-t-il, son regard brillant d'inquiétude, à la recherche de la moindre potentielle blessure sur mon corps. Tu saignes du genou ! »

Avant même que je n'aie le temps de protester qu'il ne s'agit que d'une égratignure et que je ne ressens pas la moindre douleur, il sort tout son matériel pour soigner les plaies, de son sac, comme s'il ne l'avait mis ici que pour cette raison, sachant que l'un de nous deux se ferait mal. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je me retrouve avec un pansement au niveau de mon jean nouvellement troué, et un sourire de Peter juste devant mon visage.

- « Ca guérira tout seul ! Allez viens, il est temps d'aller éprouver notre pari ! Hors de question que tu abandonnes pour une raison aussi futile ! »

Un sourire vient égayer mon visage : le Jonathan joyeux que je connaissais est de retour, aussi enfantin que d'habitude. Je me relève alors, prêt à partir de nouveau pour l'aventure, m'engageant dans le chemin tracé par Peter.

L'air est de nouveau plus léger.

❁❀❁❀❁

- « J'ai gagné ! »

Bras au ciel, triomphant, je jette un regard narquois à Peter, qui regarde le fond du cratère avec une moue dépitée. Seul un filet de fumée à l'odeur nauséabonde s'en échappe, s'effaçant dans le ciel. Aucune trace de lave ou d'activité.

Il hausse les épaules.

- « Très bien, enfant perdu El', tu as gagné. Quel est donc mon gage ? »

Ce détail m'a échappé : celui qui gagne le pari a le droit d'obliger l'autre à faire ce qu'il souhaite ; un gage, en somme. Le problème, c'est que je n'ai pour le moment aucune idée de ce que je pourrais bien obliger Peter à faire.

- « Allons plutôt nous assoir un peu plus loin, on verra ça plus tard, déclaré-je en désignant le trait de soufre du bout du pouce. »

Après avoir acquiescé, Jonathan m'emboîte le pas, me suivant sur la corniche étroite. Les bras tendus, nous nous maintenons du mieux que nous pouvons en équilibre jusqu'à atteindre le sud-ouest. De là, à l'opposé de la direction dans lequel souffle le vent, nous pouvons apercevoir au mieux notre point de départ, si loin de là, la mer qui s'étend à l'infini dans toutes les directions et le soleil qui ne tardera pas à aller se coucher.

Assis au bord du vide, des roches magmatiques si particulières au volcan sous nos doigts, nous observons ce paysage éternel, à mi-chemin entre le réel et l'irréel. Les couleurs se confondent entre elles dans le lointain, tirant sur le violet bleuté, couleur onirique. Aucun de nous ne dit mot, nous restons simplement assis là à humer l'air. De toute manière, je ne saurais que dire : au fond de moi, seule la terrible question résonne, celle de l'après. N'importe qui dirait « profite de l'instant présent, on s'inquiétera après pour l'avenir. » mais j'ai toujours pensé comme ça, toujours penser aux conséquences, à ce qu'il adviendrait si je faisais telle ou telle chose, à quoi ça me mènerait. Et il y avait beau y avoir des dizaines de possibilités, bonnes ou mauvaises, je me retenais toujours d'agir en pensant aux conséquences négatives, ce qui m'avait d'ailleurs valu les merveilleux surnoms de « pessimiste » et de « coincé ». Pourtant, aujourd'hui, j'ai soudain envie de faire abstraction de toutes ces conséquences, d'agir instinctivement, même si la part raisonnable de moi-même sait d'avance qu'elle va le regretter.

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Hey !

Voilà enfin la première partie du chapitre 13, et je pense que vous commencez à vous douter du pourquoi celui-ci était si complexe à rédiger (je trouve personnellement qu'il est loin d'être aussi bien que je l'espérais, mais je ne parviens pas à l'améliorer, à mon grand regret)

Comme toujours, vos commentaires sont les bienvenus, quel qu'il soit! 

Oh, et, quant à la longueur du chapitre, ne vous en faites pas, la seconde partie est mieux fournie, mais je me devais de couper sur un point stratégique. La seconde partie devrait d'ailleurs arriver prochainement. (et oui, je suis à la fac maintenant, j'ai bien plus de temps)

Le Chant des arbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant