-« TU ME PASSES LES OEUFS, CHARLIE ? »
Notre petit-déjeuner frit dans la poêle, accompagné de bacons et de tomates. A croire que c'est le repas que j'ai le plus mangé ces dernières semaines, mais je l'adore. Pour le plaisir de le cuisiner, de casser la coquille de l'œuf et voir son contenu se déverser, je donnerais n'importe quoi. Pour moi, la cuisine, c'est sacré.
-« C'est bientôt prêt ? » demande Astrid.
Regroupés autour de la table du salon, mes colocataires ont organisé une partie de poker, dont Charlie est pour le moment premier. Aucune pièce sur la table, seulement des faux jetons et des cartes : nous ne sommes pas là pour nous dépouiller.
-« Poussez tout, j'arrive ! »
Je dépose les quatre assiettes face à chacun, de la fumée s'échappant dans la nourriture brûlante, avant de m'asseoir à côté de ma sœur, face à Astrid.
J'ai décidé qu'il fallait que j'arrête de me renfermer. Même si je ne fais plus rien, ni écriture, ni dessin, ni peinture, ni chant,ni rien, ce n'est pas pour autant que je dois infliger mon humeur morose à mon entourage : il mérite mieux que ça, d'autant plus que me plaindre de mon sort n'arrangera en rien tout ça. Alors hier, après avoir passé la journée avec Jonathan, j'étais rentré tout sourire à l'appartement, à la grande surprise de tout le monde, qui avait semblé finir par apprécier ce soudain changement de comportement. Nous avions même passé la soirée tous ensemble à regarder une série que nous connaissions tous déjà par cœur, ce qui n'était pas arrivé depuis des lustres. Et, je devais l'avouer, quitter mon caractère maussade était bien plus satisfaisant psychologiquement que d'essayer d'influencer l'humeur des autres. Je me sentais mieux.
Grâce à moi.
Et à Jonathan.
Lançant un regard au symbole sur mon poignet droit, un léger sourire vient éclairer mon visage. J'avais dit que ma réalité ne voulait pas de moi ? Et bien je la forcerais à m'accepter tel que je suis. Il faut que je renoue les liens qui se sont dégradés avec mes anciens amis et actuels colocataires.
-« Tu viendras à notre repet' de jeudi soir, Alexa ? » Demande Charlie, du jaune d'œuf partout sur les lèvres, provoquant un léger gloussement de la part d'Astrid lorsqu'une goutte vient tomber dans son assiette.
Ma sœur acquiesce, l'air de dire que c'est une évidence.
-« Vous êtes enfin au complet ? » S'interroge Astrid, faisant de même signe à son interlocuteur que les lippes ne sont pas censées avoir la couleur d'un poussin.
-« Depuis bientôt deux semaines. Ryan est parti faire un tour à New York, c'est censé être le « berceau de pleins de bons artistes » - enfin c'est lui qui dit ça, perso je pense que le berceau des bons artistes, c'est la Nouvelle-Orléans, et je ne dis pas ça parce que j'en viens - et il nous a dégoté un deuxième guitariste « bien meilleur que l'autre débile », comme il dit. Le seul prob, c'est qu'il ne peut pas beaucoup faire de déplacements jusqu'ici, il profite que sa sœur soit en France pour qu'on essaie de bosser ensemble, pour voir l'harmonie, la cohésion, tout ça. Si c'est concluant, il y a de fortes chances pour qu'on parte tous rejoindre la Grosse Pomme, et hasta la vista Penthourne ! »
Je lance un regard en coin à Alexandria, qui fixe son assiette, gênée. Toujours aussi mal à l'aise à l'idée de me laisser seul, comme si j'étais incapable de me débrouiller par moi-même. Je ne l'empêcherais pas de partir, ce serait pire que de l'égoïsme : si Cheyenne part pour continuer de chanter dans le groupe, elle partira aussi. Parfois, je me demande lorsqu'elles se décideront à lier noir sur blanc leurs sentiments.
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Le Chant des arbres
General FictionPenthourne est une petite ville du Michigan, typiquement américaine : le capitalisme règne en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa bedaine et à embellir son héritage. C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu qui recherche l'Inspiration...