Partie 29 : Des mots sur mes maux

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"Une lettre c'est magnifique et précieux comme un morceau d'âme." Anne Dandurand

Je me suis mise à lire, et les larmes ont coulées. Elles ont coulées car papa savait me toucher au coeur.

"Benthi je t'écris cette lettre pour me soulager. Mais si tu la lis, c'est que je ne suis plus de ce monde. De toute façon je n'aurais jamais pu te la lire. Je ne t'ai pas parlé de tous ça car je ne voulais pas t'inquiéter je n'en avais pas la force. Tu sais quand j'étais jeune, je n'avais rien. La guerre d'Algérie avait laissé une trace indélébile sur nos vies. Mes frères et moi allions vendre des sacs plastiques au souk pour espérer pouvoir acheter ne serait-ce qu'une bouteille d'eau et du pain. Parfois nous rentrions bredouille, parfois nous pouvions nourrir tout le monde. Mon père est décédé très tôt d'un cancer du foie. Ma mère ne sachant ni lire ni écrire, nous a demandé d'arrêter l'école pour subvenir aux besoins de la famille. Les sacs plastiques se sont ajoutés à d'autre choses. Nous nous levions tôt le matin pour aller chercher de l'eau dans le puit du village, nous les mettions dans des bidons et nous les re-vendions. Parfois à un prix tellement bas qu'il ne couvrait pas les frais engagés pour les bidons. Je savais à peine lire et écrire et tout mes rêves d'entrepreneur ont été réduits à néant par les catastrophes de la vie. J'ai arrêté l'école, mais je continuais à m'instruire, j'avais un petit boulot de couturier chez ma tante. Avant de rentrer chez moi j'allais emprunter quelques livres à un intellectuel de la casbah. J'ai étudié l'économie seul face à un livre. Je me suis également intéressé au droit, mais qu'aurais-je pu en faire ? Moi le petit algérien autodictate, je voulais donner mon avis mais du poids je n'en avais aucun. Ma fille ne désespère jamais de la miséricorde d'Allah. Il m'a aidé à réussir. Il m'a propulsé dans les plus hautes sphères de la société alors que j'avais touché le fond plus d'une fois. Mais c'est aussi lui qui nous donne la vie et qui peut nous la reprendre à tout moment. Quand je suis parti à Paris avec ta mère la vie n'a pas été facile tout les jours mais nous avons été persévérants quoi qu'il arrive. Quand j'ai enfin reussi à me lancer dans les affaires et que j'ai touché mon premier million ma mère s'est éteinte. Elle n'a donc jamais su ce que j'étais devenu. J'en ai voulu à l'univers de m'avoir pris le seul parent qu'il me restait mais finalement que sommes nous face à l'immensité de la planète ?  J'ai donc pris soin de ma famille dans son entièreté : à Paris et à Alger. Tu as une force de caractère incomparable, tu est celle de mes enfants qui me ressemble le plus. Physiquement mais aussi moralement. Tu me faisais penser à moi-même lorsque j'étais plus jeune. Tu est très travailleuse et tu fais tout pour me rendre fier mais tu es aussi têtue comme une mule. Quand tu a quelque chose en tête tu ne l'a pas ailleurs et tu fais tout pour l'obtenir. Tu est tenace, incorruptible, intelligente, sournoise en outre, tu as toutes les qualités d'une chef d'entreprise. Nous avions le même tempérament, donc ne te laisse pas abattre. Garde bien à l'esprit une chose : la vie est faite d'épreuve. Tu dois les surmonter et accepter chaque émotion aussi mauvaise soit-elle. Seuls les faibles mettent des années à s'affranchir d'une émotion, celui qui est maître de soi peut étouffer un chagrin aussi aisément qu'inventer un plaisir. Moi aussi j'aimais Oscar Wilde ma fille ! Si je t'ai confié l'entreprise c'est que je savais que tu la dirigerais comme je l'aurais fait. Tu en prendras soin, et grâce à elle tu honoreras ma mémoire pendant des générations et des générations. Je t'aime ma petite sirène. Je sais que je ne l'ai pas souvent dis mais garder certaines choses pour soi intensifie les mots. Je sais que tu dois etre dans un profond chagrin et je tenais à mettre des mots sur tes maux. Si je t'ai caché ma maladie c'était par fierté. Je ne voulais pas paraître faible aux yeux de ma famille. Le mois de décembre m'a beaucoup plus car tu a su me montrer à quel point tu étais déterminée. Ton stage m'a conforté dans mes choix. J'ai vu en toi mon héritière. Mais au cas où tout ne marcherais pas bien pour toi ma petite Ariel, je t'ai laissé un dernier cadeau : 3439284828. Ne jettes jamais l'éponge, reste toi-même et prends soin de ta mère. Garde un œil sur Safa je sais qu'elle est parfois compliquée, elle a son petit caractère mais dans le fond elle est Comme toi. Bon courage Mia Ben Ali."

J'ai sauté quelques passages car sinon le texte intégral aurait été trop long. Mais il me touche réellement. Il a réussi à mettre des mots sur mes maux comme il l'a toujours fait de son vivant. Il lisait en moi comme dans un livre ouvert. Je sers fort la lettre contre mon coeur, et la range précieusement.

Jeudi :

Quatre jours se sont écoulés depuis la découverte de la lettre. Je La relis tout les soirs avant de dormir, parfois Avec le visage baigné de larmes. Mais une chose me trouble. Ce cadeau qu'il aborde. Et j'ai enfin compris c'est un numéro de compte qu'il m'a laissé pour me retourner en cas de faillite de l'entreprise. Je verrais tout cela en rentrant à Paris. Pour l'instant je profite de ma famille. Mes tantes ont été réjouis d'enfin me revoir. Nous avons prévu une après-midi spa Avec toutes les femmes de ma famille mes tantes mes cousines etc. Enfin le spa c'est chez moi, j'ai juste employé quelques personnes de plus pour le service. Ma tante Khadija m'a prise à part pour me parler. Elle m'a dis que mon père comptait sur moi, tout comme elle et un tout un tas d'autre choses que j'ai du passé sous son silence à cause de l'insolation dont je souffre. J'ai offert des vêtements et des biens à ma famille car je sais qu'ils en ont vraiment besoin. J'ai également profité de la plage, j'ai fait un tour sur le yacht de papa.. Mais voila aujourd'hui c'est le moment fatidique : mon retour à Paris. Ce bain de soleil, de bonne humeur et de joie de vivre m'a ressourcé. Je sais d'où je viens, et je ne trahirais jamais les miens. De nombreuses personnes vivent dans la misère mais remercie Dieu tout les jours de ce qu'ils ont. Ils remercient Dieu d'avoir un toit sur La tête, même lorsqu'il n'ont pas mangé depuis plusieurs jours. Ils sont heureux, ils ne demandent rien de plus. Alors qu'ils méritent beaucoup plus. C'est une belle leçon d'humilité qu'ils m'ont donné. Moi La parisienne imbu de sa personne, nombriliste et prête à tout pour son petit confort. J'aime tellement l'Algérie. C'est beau, sans artifice comme une fille sans chirurgie ni make-up. Une de ces filles belles au naturel qui rends jalouse toutes les autres. L'Algérie c'est le Sahara des touareg, les montagnes Chaouias et Kabyles, la végétation berbère, la mer des oranais... Toutes ces choses magnifiques qui enrichissent le pays : le pétrole, le gaz naturel, les geyser..

La vie de MiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant