Jusqu'au fond de l'océan. (1)

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Charlie contemplait la mer, perdue dans ses pensées. Perdue tout court. Est-ce elle qui contemplait cette étendue d'eau glacée, où ce miroir qui la regardait , elle, du haut de sa petite taille?
Dieu qu'elle aurait aimé y plonger toute entière, dans ce liquide infranchissable. Et pourtant, son corps la retenait encore. La vivacité de l'eau la poussait à s'en écarter, et pourtant, la jeune fille se sentait restreinte. Elle avait envie de se jeter à l'eau, rien que pour tester ses limites, rien que pour défier son enveloppe corporelle une nouvelle fois. L'eau était si froide, pourtant... Mais son corps l'était tout autant. Charlie aurait aimé n'avoir que son âme, sans matière en guise de couverture... Son corps n'était qu'un frein dans sa vie. Une nécessité dont elle se passerait volontiers, si elle avait le choix. Elle aurait aimé pouvoir abandonner cette coquille vide au bord de l'eau pour mieux parcourir l'océan...
Pour Charlie, son corps pâle n'était qu'une entrave à ses désirs. Hors, elle désirait plonger. Plonger, puis nager encore et encore, jusqu'au fond de l'océan. Mais son corps tentait de l'en empêcher, en lui envoyant toute une cargaison de signaux: la peur, l'appréhension...
Mais elle avait appris à passer outre. Seul lui importait ses désirs et sa rage de vivre.
Alors, Charlie se sentit glisser, attirée
vers la surface miroitante de l'eau, qui n'attendait que d'être troublée par ce corps inconnu. Ses doigts déchirèrent sa surface, puis ses jambes, et son ventre... Elle coula lentement, le sourire aux lèvres.
L'eau salée emplissait ses narines, lui brûlait la gorge. Et alors, invraisemblablement, Charlie se sentit heureuse, maître de son sort, pour la première fois depuis longtemps. Elle ouvrit la bouche et écarquilla les yeux en une expression d'horreur, son corps voulait reprendre la main... Il voulait crier, remonter au plus vite, respirer de grandes bouffées d'air. Mais Charlie, elle, ne le désirait pas. Elle en avait assez de se plier au volontés de son enveloppe charnelle, de son alter-ego. Elle allait nager.
Les yeux lourds, le coeur battant à tout rompre, Charlie sombrait...
Son grand-père, effaré, couru vers elle, et extirpa le corps humide de sa petite fille de l'emprise de l'eau qui la retenait encore prisonnière. Sa peau ruisselait, elle grelottait, et ses dents claquaient. Et pourtant, elle souriait.
Sa température corporelle avait dangereusement chutée... Mais, bravant le froid lui glaçant le sang, elle souffla:
-J'ai presque réussi, grand-père...
Celui-ci ne réagissait plus, et préférait croire que l'eau glacée la faisait divaguer. Ce mensonge était bien plus facile à avaler que la vérité... Mais, au fond, Charlie s'en fichait, puisque, de toute les manières, son corps retenait son âme prisonnière, cela n'avait plus aucune importance.

Charlie. [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant