Jamais les étoiles n'ont brillé si fort.

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Tournant et virevoltant sur le bitume refroidit, Charlie était une danseuse étoile rallumant le ciel éteint. Elle bougeait tellement vite qu'elle aurait pu reconstituer la grande ours rien qu'avec ses bras, elle, l'étoile du nord qui s'efforçait de briller dans l'obscurité. Et ça avait quelque chose d'étrangement poétique, de circuler sur cette voie à sens unique quand le monde s'était éteint depuis quelques heures, comme s'il était bloqué sur pause. Après tout, ce disque rouillé, il fallait bien qu'il s'arrête à un moment donné... Et bien, ce moment, c'était celui que l'adolescente avait choisi, en étant ainsi baignée dans la noirceur de la nuit . La lune éclairait ses travers tandis que ses cheveux roux ondulaient comme des vagues déferlantes qui ne s'échoueraient jamais. Celles-ci atteignaient pourtant ses épaules, mais les épousaient sans ne jamais s'y briser... Puis, les yeux perdus dans l'immensité du ciel, la jeune fille rêvait d'un monde où elle serait effacée, se demandait comment ce serait, puis se mit à songer d'une voix calme et claire: "Comment je pourrais y arriver, à vivre pour de vrai, dans ce monde qui me rejette ?" Et alors, comme les rêves s'élançant vers les nuées incertaines, Charlie s'éleva. Il y avait tant de choses futiles qui la faisait vibrer, qui la faisait vivre, qui la faisait s'envoler... Comme se perdre dans l'immensité des étoiles, tracer leurs ombres sur une feuille cartonnée avec la pointe d'un pinceau, parcourir le labyrinthe affolant qu'elles traçaient dans le ciel. Et puis, un jour, pouvoir sentir le souffle froid de l'hiver caresser sa peau nue, ouvrir les yeux lorsqu'on est paumé dans les flots des océans, grimper haut, toujours plus haut vers le ciel en s'écorchant les paumes sur les branches d'un chêne, laisser le soleil brûler sa peau... Il y avait tant de chose qu'elle voulait vivre encore, l'adolescente déboussolée.  Marcher pieds nus dans le sable, dissoudre le temps dans la rosée, danser sous la pluie, rire sous un orage, pleurer sous la canicule, où se laisser envahir par la nostalgie sous un coucher de soleil. Elle pourrait vivre si fort, avec tout ce qui lui était donné, avec ce monde qui était à ses pieds pour une poignée d'années. Et elle tendait la main vers la lune, écartant ses doigts comme une aiguille qui bouge, et l'horloge humaine filtrait désormais la lumière céleste entre ses engrenages. Comme une boite à musique laissait fuir les émotions qu'elle contenait, comme la petite danseuse fixée juste au dessus et qui tanguait, qui vivait musicalement mais, pauvre enfant de plastique, ne vivrait jamais. Et alors, sans en comprendre la raison, la jeune fille constata que des larmes s'étaient misent à rouler sur ses joues tachetées et rosées par la fraîcheur du soir. La boite à musique chantait encore pourtant, enivrait l'esprit de Charlie, et la danseuse tournait encore, même si elle ne le voulait plus, tandis l'horloge glissait inexorablement vers la fin du monde. Elle n'arrivait plus à se vider le coeur, Charlie, il était trop plein, et les vannes lui étaient inaccessibles. Elle respirait, mais avait l'impression de s'étouffer... La danseuse courbe ses bras, illuminée par les étoiles couvrant sa longue robe de lumière, elle tourne sous le vent du soir, tourne au gré du mistral, puis balaye l'horloge humaine de la pointe de sa ballerine. Et elle prend Charlie dans ses bras, la douce enfant, la fait tourner, lui chuchote de se soigner le coeur et l'âme, de ne pas abandonner, de continuer. Mais Charlie ne voit que des étoiles immobiles stagnant dans le ciel d'encre, pas de danseuse et plus de musique, plus rien. Rien que la lumière réconfortante des astres, rien que la noirceur dans laquelle Charlie baignait au quotidien. Balayant la rivière glacées prenant source au fond de ses yeux, l'adolescente se remémora ses quelques promesses qu'elle s'était faite il y a quelques années déjà: "Le monde veut me voir partir, alors je vais prendre tout ce qu'il a à m'offrir avant de partir, sans restriction, et sans limite." À cela, elle ajouta, avant que sa volonté ne s'ébranle: "Et je vais parler. Je vais me purger le coeur. Je vais les laisser me sauver, peut-être même que je les aiderais, parce que sans moi c'est impossible... N'est-ce pas ?"   
Alors elle vivrait, continuerait ces actions insensées, continuerait d'arracher un peu de vie autour d'elle, puisqu'elle voyait la vie bien mieux que ces gens qui se plaignent et voguent sur cette existence monotone qu'ils s'offraient, et qui ne leurs convenaient même plus. Elle, elle parvenait à vivre, pourtant, en se nourrissant de poésie, et planait à sa manière, comme une oiseau-poète se cognant dans la machine du temps.

Et, puisque de toute les manières, son corps retenait son âme prisonnière, pourquoi ne pas essayer de s'en accoutumer ?

Charlie. [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant