4. Conscience, sauvegarde et liberté

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Après plusieurs heures d'un sommeil compliqué, des coups de canon sortirent brusquement Jéro'bam de ses songes. Il avait froid. Les nuits sur Amset étaient vraiment trop fraiches pour les Ztékojs. Les membres de cette espèce avaient besoin de douceur et de chaleur pour permettre à leur épiderme de respirer. Nu au milieu des siens, Jéro'bam ressemblait à tout sauf à un prince. Les mines abattues de ses congénères lui déchiraient le cœur. Il voulait tous les sauver. Il n'en laisserait pas un seul vivre. Pour lui, pour son père, pour sa vengeance et pour son peuple, il devait être celui qui triompherait de l'âmination.

Au milieu de la masse grouillante de peaux bleues et roses, seul Thé'ro l'avait reconnu. Malgré la peur, la fatigue et les maltraitances, l'adolescent était toujours aussi beau. Le plus beau de tous les Ztékojs, de l'avis même de Jéro'bam. Son cuir avait la même teinte pastel que celle d'un jeune enfant. Son visage paisible faisait ressortir ses iris colorés. Sa voix était douce et claire.

Plus que tous les autres, il méritait de survivre. Il méritait d'être protégé. Et pourtant, à peine Jéro'bam avait-il répondu à son interjection que d'anciennes rancœurs rejaillirent à la surface. Plutôt que de se tomber dans les bras l'un de l'autre, les deux amis se reprochèrent leur présence mutuelle dans ce bourbier. C'est ainsi que Jéro'bam apprit que son camarade n'avait pas été désigné au hasard, mais s'était porté volontaire auprès du roi et avait accepté fièrement la mort qui lui tendait les bras si cette dernière pouvait servir son peuple. Le souverain avait accepté à contrecœur cette proposition suicide en promettant de ne rien révéler à son fils, pour ne pas l'affliger. L'apprendre déclencha chez le jeune prince un sentiment de colère. Et c'est en parlant humain pour ne pas risquer d'être compris par le peuple qui grouillait autour d'eux qu'ils s'expliquèrent, non sans attirer l'attention de nombreux regards à chaque haussement de ton. La dispute dura longtemps dans la nuit et se conclut par des mots que Thé'ro regretta immédiatement après les avoir prononcés et qui plongèrent Jéro'bam dans la plus grande des tristesses.

– J'aurai préféré que ça soit toi qui meures plutôt que ta sœur ! J'étais amoureux d'elle !

Choqué, le prince répliqua avec tout autant de véhémence en tentant maladroitement de cacher ses vrais sentiments.

– Et bien là, soit je meurs, soit tu meurs, soit nous mourrons tous les deux ! Mais tu sais quoi ? Je survivrai à l'âmination et je pleurerai sur ton cadavre !

D'une belle amitié, il ne restait plus rien. La rancœur, la peur, l'incompréhension, la jalousie... trop de choses les séparaient à présent. Leur destin commun s'était brisé le jour où les humains avaient amerri sur leur chère Tlaloc. Il ne restait plus entre eux qu'une prétendue haine qu'ils étaient bien incapables de comprendre l'un et l'autre. Et pour Jéro'bam, une certaine détermination. Abandonner Thé'ro à son funeste sort était bien là un triste destin, mais il était particulièrement décidé à ne pas le fuir. Il n'avait à présent plus rien à perdre. Il ne reculerait pas. Il ne reculerait plus. Un jour nouveau se levait sur Amset.

Les barreaux de la cage géante qui retenaient Jéro'bam et les siens se levèrent. Tous les séquestrés sortirent et se massèrent dans une cuvette comme leur indiquait quelques androïdes armés jusqu'aux dents. Sur une colline apparurent quatre êtres vivants. Jéro'bam reconnut immédiatement son père, vouté et malheureux, le premier ministre de la Fédération, joyeux et souriant, ainsi que l'étrange adolescent blond vêtus de vert qu'il avait à peine croisé la veille sans discerner les traits de son visage. Devant eux, en pleine lumière, un tout jeune adulte vêtu de noir se tenait fièrement, son diadème d'argent sur la tête et son épée plantée dans le sol devant lui. Légèrement décoiffé par un vent qui s'engouffrait dans sa cape en la faisant voleter, l'Aar'on semblait dominer toutes choses et tous êtres. Dès qu'ils l'aperçurent, neuf cent-quatre-vingt-dix-neufs Ztékojs se jetèrent immédiatement la tête contre le sol en guise de soumission. Seul Jéro'bam tenta de soutenir le regard du héros avant de, lui aussi, céder et poser un genou à terre en grinçant des dents.

Les chroniques de VojolaktaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant