Point de vue d'Antoine
Les yeux posés à l'horizon de la mer, j'inspire et expire longuement. La nuit a été calme et paisible. C'est souvent comme ça. Si les animaux sont présents dans la jungle, ils ne nous ont jamais attaqué et Dieu merci, parce que je ne pense pas qu'on aurait survécu à une attaque. Alors que mes pensées divaguent, une main se pose sur mon épaule. Je lève la tête et découvre Hugo. Il s'assoit à côté de moi, sur le sable, les pieds dans l'eau.
— Bien dormi ?
— J'ai connu mieux.
— Je me fais pas trop de doute sur ça.
— Ça ne devait pas être Malia qui devait tenir la garde cette nuit ? Me demande-t-il.
— Si, mais après ce qui s'est passé avec Adrian, je n'avais plus la tête à dormir et puis, je n'étais plus fatigué.
Il se contente de hocher positivement la tête pour me répondre. J'entends du bruit derrière nous et me retourne pour voir que tout le monde se réveille petit à petit. Seul Adrian dort toujours. Je pense que l'épisode d'hier l'a bien fatigué. Benoît se trouve avec Malia au niveau de la petite table qu'ils ont construit lors des premiers jours et ils cassent comme ils peuvent des noix de coco. C'est pas une tâche facile. Je n'ai qu'à tourner les yeux à trente degrés pour voir Gracia assise à l'endroit où elle dort.
— Et après tu me dis qu'il n'y a rien entre vous.
Je reporte directement mon attention vers mon coéquipier qui vient de prendre la parole.
— De quoi tu parles ?
— Ne fais pas celui qui ne comprend pas avec moi, Antoine. Tu dévores Gracia des yeux et tu insinues qu'il ne s'est rien passé entre vous.
— Je... Je ne sais pas si je dois vraiment lui dire ce qu'il s'est passé la veille. Hier soir, elle était en train de se laver une plaie et on a rapidement discuté.
— Et ?
— Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai pas pu Hugo. J'ai pas pu me retenir de l'embrasser.
— Je pense que c'est la situation qui fait que vous avez l'impression d'être proches, de ressentir un semblable de sentiment envers l'un et l'autre, déclare-t-il sérieusement.
— Je sais qu'il n'y a aucun sentiment, c'est juste que... Je ne sais pas, j'arrive pas à m'empêcher d'être proche d'elle.
— Le fait que ce soit elle qui t'ait trouvé et aidé doit y jouer comme tu me l'avais dit l'autre jour.
— Peut-être bien.
Je ne sais pas s'il a vrai ou non, mais la seule chose dont je suis sûr, c'est que je n'arrive pas à rester loin de Gracia. C'est étrange, parce qu'on ne se connaît pas en réalité. Du moins, pas vraiment. Je sais pas mal de choses sur elle, sur ce qu'elle a vécu et je suis le seul sur cette île à être au courant de ce qui s'est passé durant sa vie. Je suis content de voir qu'elle me fait un minimum confiance pour me raconter tout ce qui s'est passé dans sa vie, et puis, je pense que ça lui fait du bien de se confier. Elle n'est jamais allée s'enregistrer sur la caméra d'Adrian, mais elle ressent le besoin de parler, enfin, je pense.
— Tu devrais aller manger un truc, puis aller dormir un peu.
— C'est bien ce que je comptais faire, capitaine.
Le gardien me lance un mince sourire et on se lève pour rejoindre Benoit et Malia. J'attrape une grenadine et n'en fais qu'une bouchée. J'ai l'impression de ne rien manger ici. Mais il ne faut pas se plaindre. On aurait pu tomber sur un autre endroit où il n'y avait pas de fruit ou quoi que ce soit pour se nourrir et là, on aurait été mort depuis un bout de temps.
Je reste quelques minutes, le temps qu'Adrian nous rejoigne. Je finis par rejoindre l'endroit où l'on a décidé de dormir. Gracia est toujours assise au même endroit, le regard perdu. En m'entendant, elle tourne la tête et je croise enfin ses yeux. Elle détourne rapidement le regard et fixe à nouveau un point invisible.
— Gracia ?
— Hum ?
— Oublie ce qui s'est passé cette nuit, d'accord ? C'était complètement déplacé, je n'aurais jamais dû faire ça.
— C'est bon, Antoine, on n'en parle plus.
Je hoche simplement la tête et m'allonge à ma place, la tête sur mon sac. Je ferme les yeux et tente de trouver le sommeil avec comme bruit de fond les voix de mes camarades qui déjeunent.
* * * * *
Lorsque je me réveille, il n'y a qu'Adrian et Ben dans mon champ de vision. Je me frotte les yeux et me lève pour les rejoindre. Arrivé à leur niveau, je pose ma main sur l'épaule de l'enfant qui tourne la tête dans ma direction.
— Enfin réveillé, la marmotte ?
— J'ai dormi longtemps ?
— Je dirais environ cinq heures. Je hoche la tête.
— Dis Adrian, la caméra est toujours dans ton sac ?
— Oui, dans le grand compartiment.
— Merci.
Je les laisse pour aller chercher la fameuse caméra dans le sac du Portugais. Je ne vais pas souvent me filmer pour parler, c'est seulement la deuxième fois que je m'apprête à le faire. Une fois la caméra dans la main, je m'enfonce dans la jungle pour avoir un peu de tranquillité et être à l'abri des regards. La place trouvée, je m'assois à même le sol et tourne la caméra dans ma direction. Même s'il y a personne avec moi, je suis toujours gêné face à l'appareil bien que j'ai l'habitude durant les interviews d'après-match. Je souffle et me décide enfin à commencer.
— Je ne sais pas vraiment par où commencer. Plus le temps passe, plus l'espoir disparaît en moi. L'éclat de la petite étincelle diminue pour bientôt devenir inexistant. Je pense qu'on est bloqué ici pour un bout de temps. Qu'est-ce que je raconte... On est bloqué ici jusqu'à la fin de nos jours. Ça fait deux semaines, voir plus, qu'on est sur cette maudite île. J'ai l'impression que ça fait des mois pourtant... Je crois que les secours ont arrêté les recherches. Tout le monde doit nous croire mort. Je crois que c'est ce que je penserais si j'étais à leur place. Je jette un coup d'œil autour de moi. La vérité, c'est que je suis mort de trouille à l'idée de ne pas rentrer chez moi, de rester ici et de crever. Rester là à attendre que le temps passe, qu'un hélicoptère ou un bateau nous voit est horrible. Dès que l'on entend un bruit, on se fait plein d'espoir, pour au final découvrir que ce n'était pas les secours, qu'on était encore bloqué sur cette île. Je souffle longuement. Je ne veux pas rester ici. Je ne veux pas continuer de faire comme si tout allait parfaitement bien et de me créer une seconde vie avec les autres. Je veux rien de tout ça. La seule et unique chose que je souhaite, c'est de rentrer chez moi. Je n'en demande pas plus. Alors si Dieu est un avec nous, qu'il nous sorte de là. Je pense qu'on le mérite quand même assez.
Je finis par couper l'enregistrement et me laisse tomber en arrière, m'allongeant sur le sol. Je veux juste partir de là, rentrer chez moi, retrouver ma famille et ma petite vie qui me convenait parfaitement. Je veux retaper dans un ballon, revivre l'excitation d'un match, d'un but. Je veux rejouer avec les gars de mon équipe qui est comme ma seconde famille, je veux aller à Clairefontaine et retrouver l'équipe de mon pays natal pour disputer des matchs. Je veux juste retourner à ma vie, rien de plus.
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SURVIVE » edf
Fanfictionsurvivre : continuer à vivre, à exister après un événement, la fin d'une époque, la disparition de quelqu'un #831 13 janvier 2017 - 9 octobre 2017