Prologue : Quand j'étais Lili

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14 ans plus tôt - Lili

— Ne sois pas si pressée ma Lili, prends le temps.

Je jetai un coup d'œil rageur à ma mère et repoussai le dessin devant moi, nous n'avions rien en commun elle et moi. Elle, l'artiste un peu évaporée et moi la fille terriblement pratique. Elle déposa doucement un baiser dans mes cheveux et je tentai de m'y soustraire.

— Arrête ! Je ne suis pas un bébé.

Elle me couvrait tout le temps de baisers, c'était horripilant, une de mes copines avait balancé ça à Sébastien, le type sur qui j'avais flashé et il me lançait des baisers un peu ridicules pour se moquer de moi.

Ma mère était la prof de dessin au lycée, quand elle me voyait, elle me faisait de grands saluts et je tentais à chaque fois de disparaître sous ma capuche.

Mais elle était plutôt cool, elle me laissait me maquiller comme je voulais depuis la rentrée et ne disait rien devant mon look emo, un peu difficile à tenir quand on est rousse. Bon Ok, je n'étais pas rousse-rousse mais ça tirait quand même vraiment sur le blond vénitien. Pas comme ma sœur qui elle, était aussi rousse que poil de carotte. Luc mon petit frère avait de la chance, il était brun, je dis « de la chance » car cette couleur de cheveux n'attirait jamais la moquerie, elle.

Notre père était un chef d'orchestre mondialement reconnu mais pour nous c'était juste un père bougon et souvent absent. Enfin ça n'avait pas toujours été notre ressenti. J'aimais beaucoup mon père quand j'étais plus petite, depuis mon plus jeune âge j'avais tenté avec ardeur de lui plaire. Il voulait des enfants musiciens, nous avions tous comblés ce désir, Luc était un excellent pianiste, Marie tentait d'être une bonne contrebassiste et moi j'avais opté à l'âge de cinq ans pour la harpe, sous toutes ses déclinaisons : celtique, classique et électrique.

Cette année, en pleine « crise d'adolescence » selon lui j'avais tout abandonné. J'avais osé m'acheter une guitare électrique et la brancher sur un ampli ultra puissant. J'étais douée mais pas artiste, j'avais un esprit trop concret, ma musique était sans défaut mais sans âme et ça l'exaspérait, je crois. Il me disait souvent « La musique ça n'est pas mathématique, c'est magique »

Aujourd'hui ma mère était en train de me faire le même speech pour le dessin ! Ils ne comprenaient pas que moi quand je prenais ma harpe, je ne jouais pas, j'exerçais pour me vider le cerveau pour me canaliser, pas pour saisir un complément d'âme ou autre !

Ma mère me tira de ma contemplation en examinant ma toile avec une moue dubitative.

— Ce n'est pas mal, mais il manque un peu de quelque chose...

Elle dit ça à chaque fois parce que je ne fais que des croquis au fusain et qu'elle adore la couleur.

— Tu sais ma chérie jolie, si plus tard tu décides de suivre la voie artistique, je pense que tu as de l'avenir.

— Papa me verrait bien infirmière, lui. En tout cas, il a arrêté de vouloir m'enrôler dans son orchestre.

Elle rit, je n'avais aucune compassion et j'étais plutôt brute, elle semblait avoir compris le côté ironique de la proposition de mon père alors que moi pas.

— Et toi ma toute belle, tu voudrais faire quoi ?

— Je ne sais pas.

— Tu as bien une idée ?

— Non, je ne veux juste pas m'occuper des gens.

Son froncement de sourcils m'indiqua que ce n'était pas vraiment la réponse qu'elle attendait mais en mère aimante et bienveillante elle ne me corrigea pas et me caressa juste le visage avant de déposer un baiser sur ma tempe.

— Un jour où l'autre on a tous besoin d'être entourée Lili, il faut s'occuper des gens pour qu'ils te rendent la pareille.

Je lui décochai un regard sceptique, elle n'avait toujours pas réalisé que, moi, je n'avais besoin de personne.

Je suis différente sans doute.

Pour une fois, je lui rendis son baiser et je sentis son amour me réchauffer le cœur et me sortir de ma lassitude.

Dans notre langue, je lui signe « je t'aime » Son sourire s'agrandit. Nous signions tous car Luc était muet. Bien sur il le pratiquait plus que nous mais on aimait bien parfois lui répondre comme ça. Son handicap était devenu au fil du temps une richesse pour cette famille, on avait appris à faire vraiment attention à tout ce que cachaient ses silences.

Elle dût ressentir la différence car elle partit un moment. Curieuse, je l'entendis farfouiller dans sa chambre quelques instants puis je la vis revenir, son regard vibrait et pétillait, je sentis qu'il s'agissait d'un instant important pour elle.

— Ma Lili, j'ai un cadeau pour toi, c'est le collier que ma mère m'avait offert quand j'étais jeune et qui lui venait de sa mère.

— Un vieux bijou de famille tout moche ?

— Moi je le trouve beau.

Le creux de sa main renfermait un de ces médaillons anciens qui s'ouvraient sur une miniature ou une photo, je le trouvais alors un peu gros mais je ne dis rien parce qu'il me plaisait quand même. On apercevait clairement le motif délicat d'un étoile centrée d'une demi-perle entourée de diamants en taille rose.

— L'étoile m'a toujours fait penser à la rosace d'une boussole. Alors tu aimes ? On y mettra une photo de nous deux si tu veux.

Je ne répondis pas mais tournai la tête pour qu'elle me l'accroche.

Je ne savais pas encore à quel point je les aimais et combien ils manqueraient à ma vie d'adulte.

A cet instant, je ne savais tout simplement pas ce qui nous attendait.

J'avais oublié ce que c'était que d'être aimée (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant