Murray me réveille doucement en posant une couverture sur moi.
— Je pars dormir chez Harry, je vous laisse là. Je reviens demain matin, vous avez de quoi petit-déjeuner dans le frigo et y a une chambre là-haut avec une salle de bain. Tu pourrais même aller y dormir, les draps sont propre, laisse-le là, il dort comme un bébé. Il désigne Keith.
Comme je sens les courbatures venir, je le suis à l'étage et m'installe sur le petit lit. Avec un geste très paternel il se penche et m'embrasse le front. Ils sont décidément très affectueux ces écossais.
— Dors bien petite.
Mais le sommeil ne vient pas, mes yeux sont rivés sur la guitare qui prend la poussière dans un coin, elle m'appelle, là en plein milieu de la nuit. Je me lève dès que la porte d'en bas a claquée et je m'approche à pas feutrés pour l'attraper précautionneusement, presque religieusement.
Est-ce que ça se perd ? La pratique ... Je suppose que oui, mes doigts courent maladroitement sur les cordes. Je ferme les yeux, j'étais douée, ça devrait être quelque part dans un coin, avec ce flot d'émotion qui m'assaille sans cesse ces derniers temps sans que je le comprenne. Comme si mon cœur s'était changé en pierre treize ans auparavant et reprenait lentement ses battements, se heurtant dans ma poitrine avec la férocité d'un animal meurtri. Soudain je voulais jouer de la harpe, de la guitare, soudain, je voulais aimer et être aimée. J'en avais assez de survivre, je voulais juste vivre. Mais ma part rationnelle savait que c'était là que nos témoins étaient le plus vulnérables, ils commettaient l'erreur qu'attendaient leurs ennemis, tapis dans l'ombre. J'avais tenu bien plus que tous les autres, je devais tenir encore mais je n'en avais juste plus envie.
Mes doigts retrouvent leurs dextérités et je chante alors la musique que ma sœur Marie avait chanté en boucle tout l'été de mes quatorze ans et que j'avais finis par apprendre pour elle, j'aurais du la jouer à son anniversaire, comme toi de Jean-Jacques Goldman. Mon français et chacune des notes coulent avec un seul accroc, celui de ma voix qui s'éraille. C'est l'avantage de mon oreille absolue.
je reprends le dessus et j'enchaîne avec Sweet Dream, la chanson que détestait mon père.
*
J'ai douze ans, je suis capable de jouer de nombreux instrument, de reproduire en cours d'écoute n'importe quel morceaux, j'ai ce que mon père appelle l'oreille absolue.
Mais je n'aime pas ça, ce « don » que mon père voudrait me voir développer ne m'intéresse pas.
— Lili ! Concentre-toi, quand tu joues, je veux que tu exprimes quelque chose !
— J'ai plus envie de jouer.
— Quand on a ton talent, on en profite !
Il s'énerve sur moi comme sur ses musiciens. Quand moi, ça m'amuserait de reproduire une musique de boys bands à la guitare ou un truc cool à la harpe, lui il m'impose du Smetana au piano. Je déteste le piano ! C'est le truc de Luc, pas le mien.
Ça fait deux heures que je suis là dans la salle de musique et dehors je vois jouer au ballon Luc et ses copains, tout à coup, mon frère relève les yeux vers la fenêtre, je signe « papa me fatigue », il sourit et me réponds « courage »
Je me retourne vers papa, prête à crier mon énervement mais je le vois, si triste dans le coin de la pièce, ma grand-mère est malade, ça le préoccupe. Je reprends où j'en étais mais je remarque le son légèrement faux d'une touche. Intriguée, j'appuie à plusieurs reprises dessus quand soudain il relève la tête.
— Vas-y Lili, je crois que tu ne seras jamais musicienne, il faut que je me fasse une raison. Tu vas gâcher ton talent mais tant pis !
Il part dans un monologue blessant et je me lève, je ne pouvais juste pas jouer sur un piano mal accordé et il m'a renvoyé ! Il n'entend pas tout ce que j'entends même alors que c'est son métier ...
Tous les soirs normalement il vient m'embrasser, pourtant ce soir là, j'ai attendu une heure sans qu'il vienne, je me suis écroulée de fatigue, une larme au coin des yeux. Je me suis dit que s'il venait et qu'il voyait que j'avais pleuré, il serait triste. Et ce serait bien fait pour lui.
Entre le sommeil et le réveil je sens sa grande main qui me caresse les cheveux.
— Ma Lili chérie, je suis désolé, je ne veux plus te forcer à vivre un rêve qui n'est pas le tien. Tu ne seras pas musicienne parce que ce n'est pas ta destinée et non pas par manque de talent ou volonté, juste parce que tu es libre de décider.
Je ne saisi pas tout, juste qu'il est venu et dans mon rêve, je souris.
Je l'aime mon père. C'est un ours mais c'est mon ours à moi.
*
Je me rappelle la chanson qu'ils ont tous chanté dans la voiture, la ballade écossaise, je l'ai trouvé si belle, je tâtonne puis je trouve le juste enchaînement de ce qui m'a semblé être le refrain. Je joue encore quelques minutes le sourire aux lèvres, ce soir je ne m'entraîne pas, je joue avec mes tripes, avec mon âme. Je crois que mon père serait heureux cette fois-ci.
Le parquet du vieux pub craque, je décide de me coucher enfin.
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J'avais oublié ce que c'était que d'être aimée (TERMINÉ)
Chick-LitJe suis plutôt du genre à être au mauvais endroit au mauvais moment. La preuve en est je suis passée de Lili à Olivia. De l'ado rebelle et révoltée à témoin sous surveillance, solitaire et déjantée. Aujourd'hui je vis - que dis-je ? - je tiens la ch...