Le dénominateur commun

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14 ans après - Olivia

Il est 22h00 et je suis seule dans la cuisine, Calum et Charles sont partis au restaurant en amoureux et m'ont laissée avec pour unique compagnie mon plaid douillet et ma tisane verveine menthe.

Ils ont tout de même eu la décence de jeter un regard ennuyé vers moi et j'ai senti que Charles était sur le point de céder et m'inviter à tenir la chandelle. Il a l'air doux et compatissant d'un cocker, ses grands yeux marron sont toujours à l'affut de ce qu'il pourrait faire pour nous aider, Cal et moi, à sortir du marasme de nos vies. Il aurait du être psy ou assistant social plutôt qu'avocat en droit de l'environnement. C'est l'ami de cœur qu'on souhaiterait tous avoir, et pourtant ma préférence a toujours été à Calum.

Je n'ai jamais compris cet espèce de coup de cœur amical que j'ai eu pour Calum dès notre rencontre, il a beau être, sexy, drôle et intelligent, il est profondément égoïste. Et puis pour la partie sexy, ça n'avait aucun intérêt à vrai dire, que mon colocataire homosexuel, le soit. En revanche, ce qui nous servait de dénominateur commun, c'était notre côté « inadaptés sociaux » Ce qui expliquait, en partie, que je sois là un samedi soir à boire une tisane tout en en utilisant les allumettes pour me faire un mikado solitaire et que lui soit incapable de présenter à ses parents, l'homme adorable qui partage sa vie depuis cinq ans.

Je trouvais cependant que j'avais des excuses plus entendables que les siennes. J'admettais aisément que faire son coming-out dans sa famille traditionnelle écossaise pouvait être un moment dur à passer. Mais moi, j'avais tout de même assisté à un assassinat puis été placée sous la protection d'une section spéciale du MI5 depuis treize ans. Ça me donnait plus de points en soit, si un jour, on cherchait un figurant crédible pour les misérables.

Je retire un mikado supplémentaire et lance un poing en l'air alors que la pile d'allumettes reste stable. Le cri de victoire que je pousse à cet instant doit s'entendre à travers la fenêtre ouverte car la vieille voisine, qui promène son petit chien ridicule, sursaute. Elle en profite tous les soirs pour nous espionner ce qui m'agace au plus haut point. Je lui fais un doigt d'honneur discret et la regarde partir, outrée la tête haute alors que j'affiche un sourire carnassier pour lui faire encore plus peur.

Ce genre de comportement laisse souvent à penser aux sujets de sa majesté que je ne suis pas made in england et je ne les détrompe pas alors même que je devrais. Pourtant c'est moi la pro de la planque et de la traque, c'est d'ailleurs pour ça que dès le début, j'ai été formée pour rejoindre le service. Enfin pour être franche, ils m'ont d'abord envoyé dans trois familles d'accueil et les trois ont démissionnées. Alors, au terme de ma dernière escapade, ils ont vu que j'avais du potentiel en tant qu'agent et de toute façon, ils ne savaient plus trop quoi faire d'autre de moi. Avec mon talent inné pour survivre et me planquer, j'avais déjà attiré leur attention mais mon manque d'attache avait fini par faire de moi une recrue d'exception. Personne pour me pleurer en cas de problèmes, c'était un sacré bon argument ! Au final, moi j'ai été soulagée qu'on arrête de penser que quiconque pourrait remplacer ma propre famille. Si je ne pouvais pas vivre à leur côté, je ne voulais vivre auprès de personne.

Je m'éloigne de ma structure d'allumettes et remets de l'eau à chauffer.

Il fait super froid dans notre maison parce que les garçons ont estimé que la seule raison valable pour que je claque des dents, c'était forcément que j'étais une fille et donc frileuse. Ils chauffent à dix-sept l'appartement, s'y promènent en tee-shirt et rigolent en me voyant déambuler avec ma couette autour du cou, renversant tout sur mon passage. Et dire que la plupart du temps je suis d'une discrétion à toute épreuve ! Reine de la traque et de la planque, tu parles !

Furbisher, mon chef a chuchoté une fois à son collègue d'un autre service :

— Elle me fiche la trouille, elle est toujours là où on ne l'attend pas.

Comme par exemple pile derrière lui quand il a dit ça, j'ai toussoté et il a sursauté, un brin gêné puis s'est carrément énervé.

— Voilà, c'est exactement de ça que je parle.

Calum a ri de son bureau, alors qu'il faisait sa fouine comme d'habitude. Calum est aussi mon collègue, c'est comme ça qu'on s'est rencontré. C'est mon unique collaborateur appréciable. Un excellent analyste au demeurant. La première fois que je l'ai vu, ma mâchoire s'est décrochée, il était éblouissant, même un peu trop, c'est à cet instant que j'aurais du voir venir le coup de Trafalgar ... une expression que je doute qu'ils utilisent ici... enfin bref, moi la petite frenchie, formée en loup solitaire et habituée depuis mes quinze ans à ne croiser que des spécimens vibrant de testostérone et d'humour anglais, je suis tombée sous le charme du séduisant écossais, cultivé, beau et drôle. Et Calum n'a compris la méprise que lorsque, éméchée, j'ai fort malencontreusement, tenté de l'embrasser. Après ça, on a ri – enfin moi j'ai quand même ri jaune – de ce malentendu. Et Cal m'a invité à devenir sa gentille colocataire.

La bouilloire siffle, je me dépêche de sortir de mon plaid bien chaud pour préparer mon infusion et, ni vue ni connue j'y plonge une bonne cuillère du miel de Charles avant de courir m'emmitoufler et de zapper sur une chaine de la BBC, ils y repassent Pride and Prejudice, je suis partie pour 4 heures de film. J'ai beau être une fille très étrange, je n'en demeure pas moins, une inconditionnelle des films romantiques. J'adore les romances anglaises, ça compense presque leur pain dégeulasse et leur manie de manger, et surtout, vous proposer du bacon au petit déjeuner ou, pire, une bouillie d'avoine.

Du coup je fuis souvent ce moment où Charles et Calum engouffrent des œufs, du fromage et des haricots pour respecter mon rituel sacré du chocolat chaud de chez starbucks.

J'avais oublié ce que c'était que d'être aimée (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant