Vivons cachés

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Dans la voiture, il n'arrête pas de jeter des regards perplexes à Luc dans le rétro, je me suis assise à l'arrière pour être à côté de mon frère et il a grommelé qu'il avait l'impression de faire taxi.

— Il est pas mal ton chéri... Il fait bourru non ?

— Je m'apprêtais à l'abandonner pour deux mois alors il est en colère.

— Tu nous as abandonné treize ans et je suis content de te voir quand même.

Il y a un grand silence, ça, c'est dit !

Keith l'apostrophe.

— Luc ? C'est ça ? Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais elle a sa tête des mauvais jours.

Comme je suis mortifiée, je ne relève pas à la place de mon frère, mais devant son absence de réaction, je me dis qu'il n'a même pas compris la question.

— Tu comprends l'anglais Luc ?

Pas très bien, c'est à moi qu'il parlait ? Il espérait une réponse d'un muet ?

Je secoue la tête en souriant et m'enfonce dans mon siège pour fouiller dans mon sac à main et en sortir le brouilleur. Il est temps de raconter un petit bout de vérité. En français.

— Keith, il ne parle pas bien anglais, il va falloir parler français.

Légère embardée de mon chéri, je me souviens d'un coup que les révélations en voiture lui font de l'effet.

— Tu parles français couramment toi ?

— Je suis française.

— Je me doutais bien d'un truc depuis le café avec ma mère. Mais pas à ce point-là.

— Tu veux savoir ce que Luc m'a dit ? Il m'a dit que tu ne devrais pas être fâché contre moi d'avoir failli te laisser tomber deux mois parce que je les avais bien laissé treize ans.

— Qu'est-ce que tu es en train de me dire ?

Je parle pour lui et pour Luc en même temps, ils m'écoutent tous deux sans rien dire, ce n'est pas pour autant que les expressions de leurs visages ne s'expriment pas pour eux.

— Je suis l'un des témoins sous protection du gouvernement de mon propre service. Je l'ai intégré à quinze ans après un meurtre qui a eu lieu lors d'une sortie scolaire. Ça fait treize ans que j'attends de rentrer chez moi. Tout ce temps à me cacher, à fuir les gens. Treize ans que je suis seule et que je fais avec et j'arrivais à peu près à m'en tenir à mes résolutions avant de te rencontrer, tu as réveillé des sentiments en moi que je croyais morts. J'ai voulu te repousser et te tenir hors de ma portée, hors de danger. Et aujourd'hui j'ai craqué, j'ai voulu aller sur place, tout risquer, pour finir cette enquête et pouvoir rentrer à la maison, avoir une vie normale, pouvoir te présenter ma famille... Mais ça n'a aucun sens, je mettrais tout le monde en danger. Je n'arrive pas à me résigner, je résiste, je me convaincs qu'un jour j'y arriverais !

Je regarde dehors la ville qui défile. Et cette rage intérieure qui me ronge et qui voudrait sortir défile elle aussi avec le paysage urbain. Luc me prend contre lui, c'est maladroit car on n'est devenu étrangers l'un à l'autre mais c'est aussi un peu familier, une part de nous se souvient.

— Et Luc, c'était prévu que tu le revois ?

— Non, il m'a retrouvé au piano, Luc, qu'est-ce que tu fais à Londres ?

— Je viens te chercher une semaine avant l'anniversaire de papa et de maman à chaque fois.

— Comment tu sais que je poste les cartes de Londres ?

— Un jour, maman a reçu une enveloppe dès mois après son anniversaire. C'est moi qui l'ai ouverte, un homme s'excusait, il disait qu'une jeune femme lui avait confié une lettre à Saint-Pancras et qu'il avait complètement oublié de la poster, il était désolé. C'est drôle parce que sans lui on n'aurait jamais su où chercher. Enfin, papa et moi parce qu'on ne l'a jamais dit à maman pour ne pas lui faire de faux espoirs.

— Et tu ne vas rien dire non plus maintenant car je vais quand même me laisser deux mois pour réussir.

— En attendant je vais surtout me doucher, je vis comme un clodo deux fois par an, je pue un max.

Je traduits ses réponses à Keith qui ne répond rien. Il se gare et en gentleman très civilisé, il conduit Luc à la chambre d'ami, lui sort des serviettes de toilette et lui propose même de faire une machine.

Pendant que Luc se débarbouille, Keith m'ignore un peu et fait du ménage. Je le regarde faire et je textote un message à Cal pour le rassurer et lui demander ce que je devrais faire pour retrouver les bonnes grâces de son frère. La réponse me décroche un sourire « là tu n'as pas le choix, use de tes charmes » J'entends l'eau qui coule encore dans la salle de bain et je tente une approche peu subtile vers l'homme bougon en retirant mon tee-shirt. J'ai mis la musique de « The full monty »

— Lala la lala...

Il s'arrête et me regarde, les bras croisés sur le torse, ça fait ressortir les muscles de ses bras et en plus ses yeux pétillent. Je fonds devant son charme, j'en suis complètement folle. Il ne semble pas encore prêt à m'inviter dans son espace car le reste de son corps continu de me rejeter. Je m'apprête à dégrafer le soutien-gorges quand la porte de la salle de bain s'ouvre et Keith se jette sur moi pour me pousser dans la buanderie. Je l'entends parler à Luc qui repart dans la salle de bain, je glousse dans mon placard quand Keith me rejoint.

— Tu n'es vraiment pas bien dans ta tête !

— Il voulait quoi ?

— Mon rasoir. Enfin, il m'a montré mon rasoir, j'en ai déduis que c'était ça !

— Ça c'est mon Sherlock Holmes à moi.

Nous sommes collés l'un à l'autre, je sens son odeur que j'adore me chatouiller les narines.

— Tu es fâché ?

— Non, je suis triste de tout ce que tu as vécu, je me sens démuni face à toi, je ne sais pas comment t'entourer, te protéger, te rassurer. Et j'ai surtout très peur que tu t'en ailles en m'abandonnant comme tu as failli le faire ce soir.

— Ah oui, tout ça ? En me voyant en sous-vêtement...

— Non, en te voyant en sous-vêtements, en même temps que les voisins parce que je te rappelle que nous n'avons pas de rideaux... J'ai des pensées moins catholiques.

On rigole dans notre placard et on s'embrasse aussi entre désespoir et passion. La porte s'ouvre, je crie de stupeur. Je mets quelques secondes à reconnaître mon frère, il est rasé de près, il a attaché ses cheveux. Son expression narquoise nous renvoie au ridicule de la situation.

— Vous vous tripotez dans le noir, dans un placard. Je suis muet pas sourds.

— Non, on s'embrassait juste.

— En Angleterre, quand on s'embrasse, on enlève son haut ?

Je m'apprête à répéter Keith le tenant de la discussion mais il semble avoir compris, je laisse tomber et je retourne piteusement enfiler mon haut quand la sonnette d'entrée sonne.

— Bordel on est jamais tranquille ici ! S'écrie Keith derrière moi alors que Calum fait son entrée.

— Heu ! Je voulais rencontrer le frère d'Olivia.

Luc fronce les sourcils et je dois lui expliquer que c'est moi Olivia.

— Cal, je te présente mon frère muet, Luc, je te présente Calum, mon colocataire gay.

Interloqués, ils se tournent d'un seul homme vers moi.

— C'est un peu trop direct comme présentation ?

— Heu ... oui !

Keith ri dans son coin en levant les mains en l'air. 

— Ça c'est mon amour à moi, si pleine de tact et de délicatesse. 

Il est redevient lui-même, ça fait plaisir à voir.

J'avais oublié ce que c'était que d'être aimée (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant