Chapitre 33: Confiance

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   Je fixais l'eau stagnante une trentaine de mètres sous moi. J'étais assis à la limite du pont, sur le muret en pierre bordant la route. Je n'arrivais pas à me résoudre à sauter, mes muscles refusaient de m'obéir.

   Alors je restais immobile, à attendre bêtement que mon courage finisse par se manifester. De toute façon, il n'y avait personne pour me juger. Personne pour me secourir non plus.

    Si je pouvais encore mourir, ce saut me serait fatal, je n'avais aucun doute là-dessus. Même s'il n'y avait pas de courant, je ne savais pas nager. Du moins pas assez pour rejoindre la berge, elle était beaucoup trop loin.

   Je pris une grande inspiration et fermai les yeux.

   Il fallait que je le fasse. Il fallait que je saute. Je ne pouvais pas rester dans ce monde, j'allais devenir taré entouré de toutes ces statues.

   Peut-être l'étais-je déjà, après tout j'étais à deux doigts de me jeter dans le vide. Quelle personne saine d'esprit ferait cela ?

— Allez Samuel, un peu de cran ! m'encourageai-je. Tu es déjà mort de toute façon, qu'est-ce qui pourrait t'arriver de pire ?

   Plein de trucs en fait. Qui me disait que ce n'était pas les enfers qui m'attendaient derrière ce deuxième décès ? Méritais-je d'y aller ?

   Peut-être bien que oui. J'avais aidé des kidnappeurs, des meurtriers. Pas étonnant que le paradis m'ai été refusé après cela.

   Un soupir de découragement m'échappa. Je ne savais pas. Je ne savais rien en fait.

   Je me mis debout sur le muret.

   Un pas, un seul petit pas suffisait pour entamer mon plongeon fatal. Ce n'était pas beaucoup demandé, pourtant mes jambes refusaient de le franchir.

   La peur me tordait les tripes. Celle de souffrir ou bien de mourir à nouveau ? Les deux sûrement.

   J'aurais pu choisir de mettre fin à mes jours de n'importe qu'elle façon, alors pourquoi la noyade ? Elle m'avait pourtant terrifiée toute ma vie. Cette sensation de ne plus pouvoir respirer, d'ingurgiter de l'eau, de sentir ses poumons se remplir peu à peu... ça devait être affreux.

   Peut-être pour me sentir proche de ma sœur et de ma mère. Elles étaient toutes deux des élémentaires de l'eau, alors mourir de cette façon avait un côté rassurant, je suppose.

   Je secouai la tête dans l'espoir de dissiper ces réflexions.

— Arrête de réfléchir et saute ! me dis-je.

   Je sentais que j'étais tout proche de le faire. Il me manquait seulement un grain d'inconscience. Je me balançais d'avant en arrière sur la pointe des pieds.

— OK. Trois...

   Je serrai les poings.

— Deux...

   J'allais le faire. Je pouvais le faire.

— Un, soufflai-je.

   Je me laissai basculer en avant...

...mais ne chutai pas.

   Une main encercla mon poignet, me retenant de justesse.

   Elle me tira en arrière, je tombai du muret et atterris sur le dos. Une douleur sourde se propagea au sommet de mon crâne quand j'heurtai l'asphalte.

   Je roulai sur le côté en gémissant et glissai ma main sur ma nuque dans l'espoir d'apaiser ses élancements.

   Face à moi, une paire de baskets qui n'était pas là deux minutes plus tôt. Je relevai lentement les yeux, suivant du regard un jean, des bras croisés sur une poitrine et couverts de tatouage, puis un sweat noir aux manches retroussées, un cou recouvert de motifs géométriques, et finalement le visage mat et inexpressif de Yoann.

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