iv. Parfois colchique, parfois chocolat.

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Soledad ou le soleil d'une vie.
Soledad ou les jours heureux.

Il se réveilla et fixa le plafond comme à son habitude. Victor était allongé dans son lit inconfortable, se noyant dans les bruits provenant de dehors: les murs du petit appartement n'étaient pas très épais. Il s'adossa et ramena ses genoux contre sa poitrine, le regard perdu quelque part, au-delà des immeubles, des forêts et des océans. Chaque matin, le souvenir de Soledad lui revenait, à chaque fois un peu plus net, un peu plus douloureux. Il revoyait son visage et entendait son rire, résonner dans les rues de Damas.

Il hésita un instant, il s'était promis de résister. Mais il avait envie de se souvenir, il en avait besoin. Alors, il s'était dirigé vers la chambre de ses parents en silence. Il s'était penché et avait saisi une petite boite sous le lit. Il l'avait ouverte. Un sourire, un paysage. Le garçon s'empara de la photographie en tremblant. Le cliché n'aurait su affadir ou ternir le joli visage de Soledad. Victor était fasciné par la lueur qui brillait intensément dans les yeux de sa sœur. Il se sentait revivre l'instant immortalisé. Il sentait encore le vent, la joie, les rayons du soleil. Ses yeux s'arrêtèrent sur les vagues figées en pleine danse, tout comme les feuilles agitées par la brise et comme son visage.

Il se sentit vide, puis une sensation chaleureuse s'empara de lui et lui décrocha un sourire, le temps d'un instant durant lequel, il oublia. Il oublia la douleur et le manque. Il se souvint de l'odeur de sa peau, de la couleur de ses yeux et de son parfum parfois colchique et parfois chocolat. Il était de nouveau face à sa sœur, sa Soledad, celle qui faisait chanter le vent et danser le temps.

Il frissonna.

Il se rappela.

Une larme roula,

lentement.

Tout ça, c'était avant. Avant la fuite de Damas, avant le bateau surchargé, avant les millions de problèmes. C'était seulement aujourd'hui, les yeux rivés sur ce bout de papier, qu'il réalisa toutes les choses qu'il avait encore à lui dire. Il aurait voulu lui murmurer qu'elle lui manquait, et qu'il l'aimait, fort.

Il referma la boite, enfermant sa tristesse et sa vie d'avant.

La terre continua de tourner ce jour là, mais Victor avait le cœur gros. Il ne le sentait pas vide, mais comme sur le point d'exploser, comme si son cœur avait servi de dépotoir où jonchaient, entassés, souvenirs, tristesse et mots. Beaucoup de mots, qu'il avait envie de laisser s'échapper et s'envoler.

Alors il prit un petit morceau de papier et écrivit ;

« J'ai couru, j'ai marché dans la souffrance et dans la peur. Combien de fois me suis-je demandé ou tu étais? Parfois le soir, couché dans la poussière, je fermais les yeux et je revoyais ton sourire. Celui qui me rassurait quand les bruits effrayants de l'extérieur retentissaient jusqu'à mes oreilles. Le vacarme, la guerre, la peur, la faim, la misère... Cela me parait si lointain à présent. Comme un vieux cauchemar.

J'ai peur d'oublier ta voix.

Je ne sais plus à quoi je ressemble, je ne sais plus ce que je suis. Je suis bercé par l'illusion que demain sera meilleur. Je revois avec une nostalgie maladive ces jours, où les rayons du soleil caressaient nos épaules, nous étions allongés dans l'herbe, main dans la main.

La guerre. Fin du rêve, réveil brutal.
Nous avons déployé nos ailes et nous sommes envolés loin de l'horreur. La vie était-elle jalouse de nous voir ainsi heureux malgré la misère dans laquelle nous vivions? Elle t'a emportée, loin de moi, loin de mes yeux, loin de mes mains, mais certainement pas loin de mon cœur.

Grace à toi j'ai vécu et j'espère vivre à nouveau. Hier n'est plus, demain ne sera peut être pas. Je veux vivre aujourd'hui et te rendre fière de moi.

Pour toi tombée en chemin, pour toi, Soledad. »

Il contempla longuement ces mots en silence, sans trop savoir pourquoi.

Il ouvrit la fenêtre et, une vague à l'âme, regarda le petit papier s'envoler, rejoindre Soledad, et les anges, là-bas, dans les étoiles.

soledad ou les jours heureux.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant