Il a un mouvement de recul si brusque que sa tête tourne, et il se retient de vomir avec une détermination vacillante à mesure que ses yeux découvrent le cadavre. Il garde sa main devant son visage, se tourne dos au mort, respire plusieurs fois l'air à travers son tee-shirt, ferme les yeux quelques instants et se remet à penser posément.
Il identifie l'endroit, retourne au hangar en courant, y trouve un de ses employés qui le regarde courir d'un air ébahi, se saisit du téléphone, tape le numéro du cantonnier, tombe sur sa messagerie, rappelle, patiente, rappelle encore, entend la voix pressée de l'homme et lâche :
- L'odeur vient d'un cadavre. Passez immédiatement.
Il attend l'affirmation concernée de l'autre, et il raccroche. En reposant le téléphone, il voit le visage glacé d'effroi de son employé. Il ne dit rien, pose simplement sa main sur son épaule en ignorant ses questions. Il a déjà tout dit, et sait que l'autre n'aura pas voulu des détails.
Il part chercher un drap, passe devant l'employé immobile, lui dit de se remettre au travail et de dire au cantonnier qu'il sera au nord-est, après les cerisiers. Le jeune homme hoche la tête. Sa lèvre tremble. JungKook lui répète de recommencer à travailler, et repart dans le verger.
Avant d'arriver, il s'insurge à considérer le corps mort comme une chose, et non plus comme un être. La différence est subtile, mais elle lui sera utile s'il veut l'approcher suffisamment pour le recouvrir du drap.
Puis, il se souvient, peu avant de contourner l'arbre qui le masque, qu'il ne faut toucher à rien sur une scène de crime. Il s'arrête, immobile, se sentant idiot et détestant l'être.
Il regarde quelques minutes le drap sale dans ses mains, le pose sur une branche, s'assied. Il ne sait pas grand-chose de la religion, mais s'il avait été croyant, il pense qu'il aurait aimé qu'on prie pour lui. Alors, il joint ses mains, marmonne le début d'une prière qu'il a apprise à l'église durant son enfance, puis décroise ses paumes.Une dizaine de minutes plus tard, le cantonnier retient un sursaut d'effroi devant la violence du drame. Deux policiers se tiennent à ses côtés et regardent JungKook d'un œil suspicieux.
L'un deux, suant dans son uniforme, demande d'une voix grasse :- Monsieur Jeon, comment cet homme s'est-il retrouvé sur votre exploitation ?
JungKook hausse les épaules. Il répond qu'il ne sait pas, puis répète ce que lui a dit le cantonnier à propos des marcheurs et de l'odeur. Le policier écrit quelques mots d'une main potelée et le considère en silence.
- Nous allons vous demander de passer au poste, monsieur.
L'agriculteur promet qu'il passera. Mais le policier éclate soudain d'un rire bref et importun qui le fait frissonner, et l'homme ajoute :
- Maintenant, monsieur Jeon. Il s'agit tout de même d'un meurtre.
JungKook le regarde un instant, immobile, essayant de comprendre pourquoi il rit, et murmure qu'il doit se laver. Le policier acquiesce, demande si sa maison est loin du verger et combien de temps ça lui prendra. Le jeune homme répond qu'une demi-heure serait suffisante.
L'homme hoche la tête, satisfait. En partant, le second policier qui n'a pas parlé lui demande s'ils peuvent interroger ses employés. JungKook répond que oui, et rentre chez lui sans se retourner.
Une heure après, il est assis dans une petite salle sans climatisation qui sent la sueur, le tabac froid et l'odeur plus subtile du métal rouillé. Il patiente, seul, lorsque la porte s'ouvre et laisse apparaitre le jeune policier.
Impassible, il le regarde s'asseoir, poser son carnet sur la table, et dire d'une voix calme :- Je suis le lieutenant Kim. Je n'ai pas eu l'occasion de me présenter tout à l'heure.
Ils se serrent la main. Celle de JungKook est moite. Il veut en finir au plus vite de cet entretien et rentrer chez lui. Son verger l'appelle. Mais le lieutenant ne semble pas remarquer son trouble, pose des photos de la victime avant son meurtre -parce qu'il s'agit de ça, et non plus d'un accident- et lui demande :
- Connaissiez-vous cet homme ?
JungKook regarde rapidement les photos, une par une. Elles sortent d'un passeport et d'un permis de conduire, mais aucune ne lui rappelle un visage familier. Il répond :
- Non.
Le policier pince doucement ses lèvres et relève son visage vers lui. L'agriculteur remarque qu'il a un grain de beauté, juste sous l'œil.
- Qu'avez-vous fait après l'avoir découvert ?
JungKook lui raconte brièvement, sans s'étaler, lui demande s'il aurait dû recouvrir le corps avec le drap, mais le lieutenant lui répond que ce qu'il a fait est très bien.
Il ajoute :- Le médecin légiste est sur place pour récupérer le corps. Nous l'amènerons ici et vous ne serez plus dérangé par l'odeur. Mais il va falloir que vous restiez en ville pour le moment, le temps que l'enquête se termine.
- Je suis un suspect ?
- Vous et vos employés, oui.JungKook serre ses lèvres, baisse les yeux, acquiesce. Il demande si l'entretien est fini, parce qu'il doit retourner sur son exploitation. Kim dit que c'est bon, qu'il peut y aller, mais que les techniciens du labo sont encore sur place. JungKook répond que ce n'est pas grave. Ils se saluent, et l'agriculteur rentre chez lui avec un goût amer dans la bouche.
Ce n'est pas le fait d'être suspecté qui le contrarie. Il n'est pas coupable, et personne ne trouvera aucune preuve contre lui. Mais que des gens grouillent sur ses terres, dans son verger, autour de ses arbres, ça ne lui plait pas. Il est sûr de retrouver, après le passage de tous ces gens, des dégâts sur les arbres et la terre. Il espère alors que sa récolte n'en sera pas altérée.
En arrivant au hangar, il voit les hommes en combinaisons blanches qui fourmillent de partout, et retrouve ses employés dans la réserve. Le plus jeune, appuyé contre des cagettes de cerises, essuie avec des gestes brefs les larmes qui dévalent ses joues. Un autre homme, plus vieux, murmure qu'il a été choqué par la découverte du corps ; et JungKook tapote doucement sa joue.
- Ça va aller.
Les sanglots cessent un peu. Le troisième employé est une femme d'une quarantaine d'années aux traits sévères, qui regarde d'un œil anxieux les passages des techniciens. Elle demande à JungKook s'ils vont rester longtemps, et il répond que non sans en être complètement certain. La femme soupire. Un homme en blanc passe devant eux sans leur adresser la parole.
JungKook dit :- Rentrez chez vous. Nous ne pourrons pas travailler plus aujourd'hui. Ne venez pas demain non plus. Je m'en occuperai seul. Reposez-vous, et NamJoon, détends-toi. Il ne va rien nous arriver, OK ?
Le jeune homme renifle et hoche la tête. Il prend sa veste, salue les autres d'une voix faible et sort du hangar. Les trois adultes se saluent, et JungKook attend que tous les techniciens quittent l'endroit pour fermer la grande porte et rentrer chez lui.
Mais bien après la tombée de la nuit, le hurlement d'un loup le réveille et le fait trembler.
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La Nuit des Loups | Taekook
FanfictionMais au loin, à l'heure où dorment les hommes, certains deviennent des bêtes.