XV.

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Le ciel est bas, l'air est lourd, leurs mains tremblent, et devant eux se dresse la grande bâtisse en pierre, haute, froide, imperturbable, spectatrice de la mort et de la vie, des larmes des vivants et des derniers soupirs, de ceux qui restent et de ceux qui ne sont plus, puis de ceux qui mourront à leur tour, dans le ballet incessant de la vie.

Ils ont attendu que le taxi reparte, dernier sourire, un geste dans le rétroviseur, des pneus qui crissent sur les graviers, et désormais ils sont seuls, et désormais ils s'avancent, ils vont à l'encontre de cet immense portail, et par delà, ils iront jusqu'à la porte des secrets pour trouver les réponses de leur quête.

L'inspecteur presse le bouton métallique de l'interphone, patiente quand la voix automatique répond, s'annonce, attend encore, jette un regard vers JungKook qui se dandine à ses côtés, il ne parle pas, il aimerait mais il ne sait pas quoi dire, c'est étrange parce qu'il a presque peur de cette maison, une femme répond, elle a un accent fort, le portail clignote, s'ébranle, s'ouvre, et ils s'immiscent dans l'ouverture.

Une infirmière se tient devant la porte. En les voyant arriver, elle réajuste son uniforme et pince les lèvres. Elle dit bonjour messieurs, et TaeHyung reconnait son accent. Elle les jauge un instant, ses yeux sont cernés, son regard est dur, et en voyant ses rides sur son front, ses joues creusées et ses lèvres pâles, JungKook se dit que côtoyer la mort l'a ternie, que les fantômes ont lentement aspiré ce qu'il restait de vivant en elle, qu'elle n'a pas sourit depuis des siècles, puis elle s'avance, elle leur dit suivez-moi, ses chaussures crissent sur le carrelage, ses cheveux sont blancs dans sa nuque, elle les laisse devant l'accueil, s'en va, se fond dans un mur, disparait entre les carcasses osseuses et les yeux vides, en laissant derrière elle le souvenir d'une vie heureuse.

- Que puis-je pour vous ?

C'est une autre femme, plus jeune, qui les regarde derrière la vitre.

- Nous avions rendez-vous avec une patiente.

TaeHyung donne son nom, précise que c'est pour une enquête, que l'entretien ne durera pas longtemps. JungKook se tient dans son dos, tentant de ne pas renifler l'odeur âcre de l'établissement, et évite du regard les vieilles personnes en fauteuil roulant qui, la bave aux lèvres, déambulent d'un air absent dans les couloirs. C'est le visage d'une fin et celui d'une époque qui rôde sur deux cannes, qui se tâche en mangeant, et qui espère, secrètement, ne pas se réveiller un matin.

- C'est une blague de très mauvais goût, messieurs.

La jeune femme est devenue pâle. Ses mains sont crispées sur le bord du bureau, phalanges blanches contre le bois noir, et sa voix se casse quand elle déclare froidement :

- Elle a été enterrée il y a deux jours. C'est très malpoli de venir ici et de la demander comme ça. Vous n'avez pas lu les journaux ? C'était écrit partout parce que c'est l'eau qui l'a tué. C'est pour ça qu'ils refont les canalisations.

- J'ai appelé ici et on m'a dit qu'elle était encore là. Elle était vieille, mais on m'a assuré qu'elle était toujours en vie.

- Je ne sais pas qui vous avez eu à l'appareil, monsieur, mais cette personne a menti. Tout le personnel sait qu'elle est décédée.

JungKook baisse la tête, parce que soudain l'espoir revenu vole en éclat, brise son cœur, brise son cerveau, brise ses rêves, brise sa raison. Tout lui semble lourd, comme si une plaque de béton venait de se poser sur ses épaules et le contraignait à baisser les bras, baisser les yeux, tout laisser tomber, et il ravale ses larmes avec un sanglot amère.

Il entend, au loin, semblant à des milliers de kilomètres, la voix de TaeHyung qui demande :

- Pourrions-nous quand même voir sa chambre ? Je vous assure que c'est pour les besoins de l'enquête. Nous ne dérangerons rien.

Puis la voix aigrie, venimeuse comme du poison et chargée de rancœur, qui siffle :

- Vous savez très bien que je ne peux pas aller contre l'autorité. Au bout du couloir. Chambre 96.

Ils soufflent un merci, partent en se retenant de courir dans le couloir, les murs sont verts, c'est hideux, ça sent la mort, ils ont l'impression qu'elle est imprégnée dans les murs, le couloir parait immense, ils accélèrent, enfin ils en voient le bout, encore quelques mètres, la chambre est là, ils distinguent la porte, ils croisent un infirmier, pas de sourire, pas de bonjour, juste un souffle qui passe entre eux, l'homme ne s'arrête pas, la chambre est là, leurs mains tremblent, JungKook expire, ils sont devant, le battant est vieilli par les années, le 9 s'est retourné, désormais la chambre est numéroté 66.

Sa main fébrile attrape la poignée, elle cède dans un grincement, le temps s'arrête, s'oublie, puis tout d'un coup tout s'accélère, ils entrent presque religieusement. La chambre est rangée, propre, lumineuse, le lit est fait, les draps sont blancs, les rideaux sont tirés, et sur le mur, au dessus du lit, il y a une croix. JungKook ouvre doucement une armoire. Elle est vide, comme les tiroirs, comme son esprit, comme ses yeux.

Il s'assoit sur le lit. Devant lui, TaeHyung continue de chercher.

- Nous ne trouverons rien. Ses affaires sont sûrement chez ses enfants. Et je ne pense pas qu'ils nous laisseront les voir. Si ça se trouve, elle n'a peut-être même rien vu.

JungKook a parlé d'un ton si las et si triste que TaeHyung s'est arrêté de cherché, s'est tourné vers lui, a posé ses mains sur ses joues, lui a fait relever la tête, il l'a regardé dans ses yeux, et il a dit :

- Il y a forcément quelque chose. On ne peut pas abandonner. Pas maintenant.

Mais alors que JungKook pose sa main sur la sienne, qu'une flamme danse dans leurs yeux et qu'un instant se crée, une sonnerie résonne et l'univers bascule.

TaeHyung attrape son téléphone, soupire, décroche, c'est son collègue, il jette un regard vers JungKook mais il regarde par la fenêtre, la nuit arrive, l'automne est sombre, ça grésille dans le combiné, l'autre homme ne lui laisse pas le temps de parler, il crie presque :

- Il y a eu un autre meurtre, inspecteur. C'est la femme du maire. Il faut absolument que vous reveniez.






Il y a un petit garçon dans le jardin d'en face. Il joue avec le chien. Le voisin se promène sur le trottoir. Il s'arrête pour les regarder. Il s'avance vers eux. Il parle à l'enfant. Soudain, sa mère arrive et l'arrache des mains du voisin. La mère a peur. Elle repart en courant dans la maison. Elle ferme à clé. Le voisin a l'air triste. Alors il repart. Et disparait.

La Nuit des Loups | TaekookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant