XVIII.

2.1K 377 69
                                    

Il y a un cri. C'est une voix d'enfant. Un corps s'affaisse contre des pavés mouillés, tombe dans le néant, glisse dans les ténèbres, s'abandonne à l'obscurité. Il y a des pas pressés dans le silence, un regard en arrière, des mains dans des poches, un pantalon encore défait, puis le silence encore, qui explose dans leurs tympans.
Il n'y a qu'un seul cri.
Et le village ne l'entend pas.



Le vent frappe la vitre, fait exploser le silence qui bourdonnait dans leurs oreilles, personne ne bouge, personne ne parle, chacun retient son souffle, c'est le chaos dehors, le vent hurle, crie, profane, s'élève violemment, retombe, mais à l'intérieur tout est calme et c'est comme une condamnation.

Mais soudain, TaeHyung lâche entre ses dents vous savez où me trouver si vous voulez parler, le maire devient encore plus rouge, il a des plaques sur les mains et le cou, l'inspecteur se décale, quitte la pièce, il attrape la paume de JungKook, ne le regarde pas mais serre cette main doucement, ils sortent ensemble, une rafale fait s'envoler leurs manteaux, mais ils sont deux. Ils traversent la foule, ils n'entendent plus, ils ne voient plus, désormais ils sont muets et aveugles, ils vont chez JungKook, la voiture roule vite, le vent fait trembler les arbres, trembler les feuilles, trembler la poussière sur la route, le vent fait trembler les hommes, ils sont arrivés, il y a de la terre sur la porte, on distingue le verger plus loin, la clé tourne dans la serrure, les gonds grincent, ils entrent, referment la porte, d'un même mouvement ils se dirigent vers la cuisine, TaeHyung s'assoit, s'arrête, reprend son souffle, enfin, ferme les yeux, croise les mains, respire.

JungKook est resté debout, devant l'évier. Il pose son manteau sur une chaise, se tourne, sort du café et fait bouillir de l'eau. Il sait que TaeHyung attend qu'il lui demande, mais il préfère attendre, reprendre ses esprits, retrouver le chemin de ses pensées ; peut-être se retrouver lui-même, noyé dans ses questions, oublié dans ses désirs, perdu dans son inconscient.

Lorsque le métal de la cuillère racle l'émail de la tasse, alors il s'autorise à s'asseoir, à céder, à demander :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé, TaeHyung ?

C'est le silence, d'abord, qui lui répond. Puis un soupir, une gorgée de café qui disparait entre deux lèvres, le tintement de la tasse contre le zinc, un frémissement des paupières, et enfin sa voix qui résonne comme un aveu.

- Il était assis sur une chaise. J'ai renvoyé le policier qui s'occupait de lui. Je lui ai demandé comment il se sentait. Il a répondu avec un sourire, mais ses yeux étaient froids. Puis j'ai vu ses mains jointes et j'ai dit « où est votre alliance ? ». Il a eu l'air surpris que je le remarque, parce qu'il a tourné ses mains vers lui et qu'il les a longuement regardées. Mais il n'a pas répondu. Alors j'ai posé à nouveau ma question. Il a levé les yeux sur moi, est devenu pâle comme la mort, et a dit « je ne parle pas aux pédés. » J'ai dit « pourquoi ? » et son visage s'est tordu de fureur. Et tu es arrivé. Tu connais la suite.

- Est-ce que tu penses que c'est son homophobie qui l'a mise dans cet état ?

TaeHyung reprend une gorgée de café, enserre la tasse entre ses deux mains, écoute un instant les rafales de vent qui frappent la maison, baisse les yeux, et répond d'une voix si faible que JungKook ne l'entend presque pas :

- Ça ne peut pas être que ça. Sa rage était tellement immense, tellement violente. Ça brûlait dans ses yeux. il doit y avoir autre chose. Quelque chose de plus grave. Quelque chose de plus enfoui. Quelque chose qui lui fait tellement mal qu'il doit s'en soulager.

- Comme un traumatisme ?

- Pire que ça. C'est son âme qui est brisée. Tout son être, même son cœur. Et il n'y a que la trahison qui peut rendre aussi fou.


La lune est pleine, ronde et blanche. Il sort dehors. Il espère que ses parents dorment assez profondément pour qu'ils n'entendent pas le grincement de la porte. Il fait froid. Il y a du vent. Il descend sur la route, et sourit parce qu'il peut marcher au milieu. Il y a toujours des voitures pendant la journée. Il joue dans les flaques qui creusent la chaussée. Puis il quitte la route, traverse une ruelle, et il le voit. Il sourit un peu plus grand. Et l'ombre qui s'est détachée du mur vient vers lui.


JungKook frémit, resserre ses bras contre son torse, il est suspicieux soudain, il revoit le corps de la femme du maire, étendue sur le parvis de la mairie, comme un exemple, comme une leçon, comme un avertissement, il a peur, il sent la lente coulée de sueur qui coule sur sa tempe, qui arrive dans ses yeux, descend jusqu'à ses lèvres, s'infiltre dedans, c'est salé comme une larme. TaeHyung a les yeux fermés, lorsqu'il les ouvre JungKook est tremblant, alors il se penche pour attraper son bras, caresse son poignet, garde sa main dans la sienne, mais elle tremble aussi, et ils sont là, immobiles, les yeux dans les yeux, à réaliser que le coupable est peut-être en face d'eux depuis le début, alors tout est renversé, ils imaginent la Bête, cachée dans la forêt, qui attend, insatiable, de tuer, ils voient la souffrance, ils voient la haine, ils voient la cruauté, ils sentent cette violence qui remonte depuis la terre, qui éclate, qui implose, qui ravage tout, ils comprennent soudain, violemment, la vérité les gifle.

- Il n'y a que la trahison qui peut rendre aussi fou.

- Mais pourquoi les a-t-il tués ?

- C'est une vengeance qui touche tout le monde, toutes les générations, c'est la vengeance du mal, JungKook et elle va tout détruire.

Alors le vent explose, ses hurlements sont terribles, et à l'intérieur ils ressentent son urgence, sa démesure, ils savent qu'ils ne peuvent pas lutter, la nature gagne toujours, mais ils restent ensemble, ils tentent de faire face, ils attendront encore un peu, puis ils iront révéler la vérité, mais ils doivent se reposer, prendre des forces, ils ont si peur, c'est effrayant, l'un murmure j'ai peur et l'autre n'y peut rien, alors ils s'enlacent, torse contre torse, ils ne font qu'un, le vent affronte un rocher désormais, peau contre peau, la peur s'atténue, et déjà la nuit tombe dehors, et tout devient ténèbres.

La Nuit des Loups | TaekookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant