XI.

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Un silence. Des sanglots. Une main qui se presse contre des lèvres ouvertes. Des pleurs étouffés. Une gifle. Un ordre. Un enfant qui se lève. Un enfant qui doit se taire. Un enfant qui doit oublier. Un enfant qui oublie. Un enfant qui se tait. Et un enfant qui ne se pardonne jamais.

- Inspecteur Kim, c'est JungKook. J'ai découvert quelque chose. Venez ce soir. Venez seul. Soyez prudent.

TaeHyung raccroche sa messagerie et demeure un instant silencieux. Il est un peu plus de vingt heures, et sa journée de travail l'a épuisé. Le docteur Shin s'avère être avide de tout, et contenir son appétit vorace et ses remises en question incessantes a pompé toute son énergie. S'il avait eu à choisir, il aurait préféré rester chez lui, se boire un verre de vin, lire peut-être un de ces livres qui jalonnent ses étagères, un bon polar où l'intrigue le tiendrait en haleine, pour qu'il oublie, pendant quelques heures, que son enquête n'avance pas. Mais l'urgence et la précipitation dans la voix de JungKook ont éveillé quelque chose en lui qui ressemble à de l'instinct, et il se dit que si l'agriculteur n'a pas trouvé un indice, il a au moins besoin de lui.

Et le sentiment, soudain, d'être attendu par quelqu'un, d'être espéré, d'être accueilli, le fait sourire. Alors il n'hésite plus, il prend sa veste, il referme la porte, il descend les escaliers, il marche sur le béton nu, il entre dans sa voiture, et il roule là où les maisons deviennent des champs.


Il arrive devant la porte un peu avant vingt et une heures. Il toque, et entend la voix étouffée de JungKook qui lui crie d'entrer. Il le fait, et la chaleur du séjour lui fait du bien. Le temps s'est refroidi, et l'orage qui a éclaté la veille emplit l'air d'une humidité glaciale. La voix revient soudain, plus forte, lui disant de monter à l'étage et le guidant dans la chambre du fond, tout au bout du couloir. La porte est entrouverte, et un rayon de lumière luit sur le parquet. Il pousse le battant, entend les gonds qui craquent, et se fige.


C'est la nuit. La ruelle est sombre. Il n'y a pas de bruit. Les nuages voilent la lune. Sans eux, on verrait qu'elle est pleine. Un murmure dans l'obscurité. Un enfant. Le ciel se dégage. Il fait froid. C'est l'hiver qui approche. La lune inonde les pavés. Un cri. Et le village qui frémit.


La première chose que TaeHyung voit est le crucifix au dessus du lit. Il le trouve incongru, parce qu'il n'imagine pas le père de JungKook croyant. Les murs sont tachés à cause de l'humidité. Dans les angles, des traînées presque noires décollent la peinture. Le lit est défait. A vrai dire, toute la pièce est dérangée. Les pans de l'armoire ont été arrachés, et ils pendent lamentablement, encore accrochés par miracle. Les tiroirs de la table de chevet sont renversés sur le lit, et ils déversent leur contenu sur les draps.
Et au milieu de tout ça, les yeux fermés, un verre dans une main et une photo dans l'autre, se tient JungKook.

L'inspecteur reste immobile. Il a l'impression d'être en face d'un animal sauvage et apeuré, qui s'enfuira s'il s'approche trop. Il regarde encore une fois la chambre et remarque, posée sur le lit, une bouteille de vin à moitié vide. Il pense subitement à ce verre qu'il aurait bu s'il n'était pas venu, à sa soirée qui n'existera jamais, à cet avenir qui vient de changer brusquement, parce que parfois la vie prend des virages inévitables et qu'il est dedans, il l'a même dépassé, et il se retrouve là, en face d'un homme qui a tout perdu, même sa raison, et il a envie de repartir, de tout quitter, de tout effacer, pourtant il reste là, et il dit dans un souffle :

- Que s'est-il passé ?

Et alors lentement, trop peut-être, JungKook relève la tête, le fixe de ses yeux rougis par l'alcool, essuie une larme qui a coulé sur sa joue, ouvre ses lèvres craquelées, sa main tremble mais pas sa voix, et il répond :

- La mort, Inspecteur. La mort est passée.
Et elle a tout renversé.

La Nuit des Loups | TaekookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant