Au matin, Joseph avait oublié l'enfant. Il se réveilla en milieu de matinée et sortit rapidement. Pour aller travailler ? Boire ? Lui-même ne le savait plus vraiment, il perdait la conscience de ses actes.
Grégoire se retrouva seul dans la sombre pièce humide. Comme il avait très faim, il chercha de nouveau dans chaque tiroir mais ne trouva pas le plus petit crouton, pas le plus petit pot d'eau. Alors, il sortit à son tour, timidement.
Le soleil vint éclairer sa jolie frimousse, ses yeux un peu rieurs et ses traits doux et ronds. Il secoua ses boucles ensoleillées, comme pour y mettre de l'ordre et tourna son regard sur la rue. La petite bourgade de Beaulieu-sur-argent s'était déjà éveillée à l'aube. Les hommes étaient aux champs. Quelques femmes s'étaient établies en tant que commerçantes. Les autres s'occupaient de leur petit ménage. Le garçon passait inaperçu : chacun vaquait à ses affaires. Il avait envie de pleurer.
Il s'avança vers la place principale du village, là où il y avait la fontaine pour l'eau. Il s'y précipita pour étancher sa soif brûlante et resta quelques temps agenouillé près du bassin à laper l'eau. Quelques larmes coulèrent. Plic ploc. Et il se retourna pour remarquer une dame qui l'observait avec curiosité. Tout heureux, il s'approcha d'elle :
- Excusez-moi madame, vous savez où travaille mon oncle ?
Sa petite mine angélique attendrit la dame qui s'accroupit à son niveau pour questionner doucement :
- Je ne sais pas qui est ton oncle. Mais si tu me dis son nom, je pourrais t'indiquer le champ où il travaille.
Confiant, le garçon sourit :
- Il s'appelle Joseph Audence.
La figure de la matrone se rembrunit aussitôt et elle hésita à réveler à l'enfant ce qu'elle savait.
- Il... Il devrait travailler au champ du bourgeon, qui longe la route vers Angers. Mais je te conseille d'aller d'abord jeter un coup d'œil à la taverne. Non, en fait, n'y va pas. On ne sait pas dans quel état il est, le Jo.
- À la taverne, répéta Grégoire d'un air tout déconfi.
- Mon pauvre garçon ! Mais pourquoi es-tu venu chez ton oncle ?
- Et l'école, madame ! Vous savez où est l'école ?
- Ici, elle a fermé, l'école. C'était des dominicains qui la tenaient, mais ils ont préféré s'exiler. Les temps sont un peu durs pour eux.
- Ah.
L'enfant avait un air un peu pitoyable qui aurait fait fondre même les cœurs les plus endurcis. Il s'assit sur la margelle de la fontaine, le regard vague et triste. La femme posa sa cruche à côté pour s'asseoir à sa droite et le prendre dans ses bras.
- Pauvre enfant... Murmura-t-elle tout bas. Peut-être veux-tu venir chez moi ? J'ai un fils qui doit avoir le même âge que toi. Quel âge as-tu ?
- Dix ans.
- C'est cela. Veux-tu venir ?
- Non, madame. Ça ne se fait pas. J'ai faim, vous n'auriez pas un peu d'argent ?
La femme prit un air crispé :
- Non, je n'ai rien.
- Alors, tant pis.
Et Grégoire sut ce qu'il devait faire. Il sourit à la dame et lui confia :
- Je vais chanter. On me donnera peut-être un peu d'argent comme cela.
Et il lança en l'air quelques notes... Sublimes.
"C'est la légende de l'enfant..."
Quand il chantait, il souriait, et ses yeux pétillaient. Que les chants soient joyeux ou non. On aurait dit un ange à l'auréole dorée. C'était une petite voix simple qui claironnait gentiment et qui allait touché jusqu'au plus profond de nos entrailles.
"De l'enfant du pays d'Armor..."
La femme s'était redressée pour observer avec stupéfaction cette transformation céleste. Elle était hypnotisée par le regard beau et joyeux de l'enfant, ensorcelée par sa voix si pure et charmée par la chanson. Elle en oubliait ses affaires.
"Qui naquit un jour de grand vent..."
Et les boutiquières sortaient sur la place pour observer ce prodige. Elles approchaient, pris dans les filets de cette voix charmantes. Et elles écoutaient. Elles ne voulaient plus bouger. Non. Elles étaient trop captivée. Un ange était descendu sur terre.
"Avec un cœur tout rempli d'or..."
Il continua la chanson, jusqu'au bout. Un petit air grave au visage, parce que la chanson était un peu triste quand même. Mais des yeux qui pétillaient toujours et cette voix... Lorsqu'il eut terminé et qu'il laissa s'envoler les dernières notes, les dernières paroles, "Le soir pour les bercer..." Alors, il y eut un grand silence, et Grégoire élargit son sourire avec un air surpris que tout ce monde l'ait écouté. Absolument attendrissant. Il s'avança vers une dame et lui dit :
- Madame, j'ai faim. Madame, j'ai très faim.
Et la brave femme lui glissa un gros sous en l'embrassant sur le front d'un air ému. Ne voulant pas être de reste, toutes vinrent déposer une belle pièce dans la main de l'enfant. Le bruit avait vite couru, en effet, que Grégoire était le neveu de Jo. Et l'on s'appitoyait.
Mais, ravi de tout ce beau butin, l'enfant remercia chaleureusement, croqua dans une pomme qu'on lui avait donné et fila ranger précieusement tout le reste dans la pièce qui lui servait de logis. Et puis, joyeux et sautillant, il se décida à aller faire le tour du village pour inspecter brièvement son nouvel environnement. Il s'arrêta quelques temps dans les bois, près de Beaulieu-sur-argent, et grimpa dans un arbre en riant, joua et s'amusa comme un fou.
Quand la nuit recommença à tomber, il revint dans la sombre pièce, effrayé d'avance du tête à tête avec son oncle. Mais il voulut être gentil et prépara sagement la table avec deux grosses tranches de pain pour Joseph Audence. Il voulait que son oncle soit doux avec lui. Sinon, il savait qu'il serait malheureux.
Mais quand Jo entra, il était soutenu par le tavernier et un autre homme. Il était conscient, mais titubait dangereusement. L'aubergiste le fit asseoir sur l'unique chaise en jetant un regard inquiet à l'enfant. Jo resta comme une bête à fixer son assiette et tressaillit quand Grégoire murmura doucement :
- Bonjour oncle Jo, j'espère que vous allez bien.
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L'Enfant en or et l'ivrogne en alcool
Historical Fiction- Guerre de Vendée et Révolution Française - Un ivrogne et un enfant Été 1792 Deux hommes dans une auberge se croisent. L'un est ivrogne et semble condamné à mourir par la boisson. L'autre se nomme Charette et doit devenir une légende. Hiver 1792...