Joseph et Hélène parvinrent au village dans la matinée. Les enfants étaient déjà répartis.
- Et maintenant ? Commença Jo.
C'était la première fois qu'il ouvrait la bouche depuis leur départ. Hélène lui jeta un regard noir et entra dans la première boutique.
- Excusez-moi, madame. Vous n'auriez pas vu deux enfants d'une dizaine d'année par ici ?
- Encore ! S'écria la boutiquière. Mais qu'est-ce qu'ils ont fait ces enfants ?
- C'est... C'est ma fille.
- Et moi, mon neveu, grommela Jo qui était entré à son tour. Ils se sont enfuis.
Leur interlocutrice leur jeta un regard curieux et ennuyé. Les enfants avaient été adorables, pourquoi avaient-ils fuis leurs parents ? Ce devait être de mauvais parents.
- Pourquoi encore ? Reprit Jo en se grattant la tête d'un air perplexe.
- Il y a un autre monsieur qui les recherchait. Il est encore au village d'ailleurs, enfermé à l'auberge. On ne veut pas le laisser sortir. Il voulait Grégoire.
- Qu'est-ce qu'il a fait, Grégoire ? Intervient Hélène effrayée.
- Il a volé un fichu carnet, répliqua sèchement Jo. Un carnet important pour la République, à ce qu'il paraît.
Alors, la jeune mère quitta précipitamment la boutique en lançant un vague au-revoir. Quelques larmes se mirent à glisser le long de ses joues, mais nul ne les vit. Jo n'y prit point garde et questionna encore :
- Dites-moi, vers où sont-ils partis, les gosses ?
- S'ils sont partis, c'est que...
Mais le paysan se fâcha :
- Et au diable s'ils sont en colère contre nous ou pas ! Ils ont dix ans ! Dix ans ! La Vendée est en feu et vous, vous hésitez à nous dire où nous pouvons les trouver ? Chaque seconde qui passe peut les tuer alors dites-moi vite où ils sont !
- Ils... Ils vont vers l'ouest de la Vendée. Là où est Charette.
Jo se retourna brusquement et sortit. Il sentait encore battre son cœur violemment sous l'impulsion d'une angoisse sans cesse grandissante. Son gosse... Et cet espion de Jean qui le traquait... Il devait faire vite !
Mais Hélène s'était adossée au mur d'une maison et tachait d'essuyer ses larmes. Joseph se tourna vers elle, et resta muet et bête, quelques temps, à la regarder. Elle l'impressionnait. C'était sans doute pour cela qu'il n'avait pas osé lui adresser la parole pendant tout leur voyage. Elle était pure et lui était maudit. Elle était belle et lui n'avait aucune allure. Elle ne méritait pas son malheur, là où il l'avait un peu cherché. Pourquoi ses boucles blondes aux reflets roux ensoleillées étaient-elles si jolies ? Pourquoi avait-il l'impression que ses yeux noirs avaient un pouvoir ensorcelant ? Et comment faisait-elle pour garder cette peau blanche ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi le Ciel lui donnait-il cette épreuve ? Pourquoi et comment la surmontait-elle avec autant de courage ? Pourquoi ? Comment ?
C'est sans doute ce qui donnait à la jeune femme une aura délicate de mystère. Et pour cet homme qui n'avait jamais parlé à une femme autre que sa sœur et la tavernière de son village, c'était assez pour qu'il ressente une sorte de respect craintif.
Il s'avança timidement vers elle et lui demanda d'une voix qu'il espérait douce :
- Est-ce que ça va ?
- C'est vous qui me demandez ça ?
- Je... Je ne sais pas.
- Ma fille et moi, on s'entendait parfaitement bien. Je l'aimais et elle m'aimait. J'avais des amies au village. Je devais déjà supporter l'absence de mon mari, mais j'y parvenais à force de courage. Et votre neveu arrive et m'emporte Marie. Il doit être le diable en personne, votre gamin. Et comme si ce n'était pas suffisant, je dois supporter votre dégoûtante présence pour retrouver ma fille. Et un espion est sur les traces de mon enfant pour lui faire du mal !
Jo vit rouge. Il n'était pas habitué à ce qu'une femme lui parlât sur ce ton, surtout quand il venait lui apporter son aide et son réconfort.
- D'abord, Grégoire n'est pas comme cela ! Si Marie est partie avec lui, c'est qu'elle voulait partir. Il ne l'aura pas enlevée de force ! Vous lui demanderez, quand on les retrouvera, hein ? Ma présence, je ne vous ai pas obligée à la supporter. Si elle ne vous plaît pas, vous pouvez partir.
Hélène eut un geste d'impatience et répliqua :
- Vous croyez que c'est facile, pour une femme, d'être seule sur les routes par ces temps de guerre ? Je ne...
- Je n'ai pas fini ! Et ce n'est pas Marie que l'espion recherche. C'est Grégoire, c'est mon neveu. Donc c'est à moi, plutôt, d'être terriblement inquiet !
Hélène ouvrit la bouche, mais la referma en une mimique furieuse. Les deux voyageurs se regardèrent fixement pendant quelques instants, en s'envoyant des éclairs. Puis, la jeune femme jeta dédaigneusement :
- Allez boire un coup. Ça vous calmera.
Et Jo, perdu, recula d'un pas en secouant la tête.
- Et en plus, vous me tentez. J'aurais beau essayer de devenir meilleur, mon entourage sera toujours là pour m'enfoncer toujours plus dans la médiocrité.
Hélène ne répondit pas, mais un éclair de surprise traversa son regard noir. Éclair qui s'éteignit bien vite lorsque Jo sortit de la saccoche accrochée à sa monture une bouteille d'eau de vie qu'il but rapidement, le regard fiévreux. L'incident n'aurait pas eu de suite si l'espion n'avait pas choisi ce moment pour sortir de l'auberge. Son œil de lynx repéra bien vite l'étrange couple de voyageur et un fin sourire monta sur ses lèvres. Il ne prit pas garde aux regards furieux que lui jetaient les villageois et vint s'asseoir sur les marches ombragées de la petite chapelle du lieu. D'ici, il attendit, et observa.
Et lorsque l'étrange couple reprit sa route vers l'ouest de la Vendée, l'espion les prit en filature. Ricanement froid. Le gentil village aux petites chaumières ensoleillées disparut et les voyageurs entrèrent dans une forêt.
- Et si... Murmura Jo l'esprit un peu brûlé par l'alcool, et si on nous suivait ?
Il tourna lentement son regard fiévreux derrière lui et apperçut la silhouette seule qui menait tranquillement son train. Son sang se glaça et il perdit le peu de retenue qu'il avait réussit à garder malgré les quelques gouttes d'alcool.
- J'y vais, dit-il simplement.
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L'Enfant en or et l'ivrogne en alcool
Historical Fiction- Guerre de Vendée et Révolution Française - Un ivrogne et un enfant Été 1792 Deux hommes dans une auberge se croisent. L'un est ivrogne et semble condamné à mourir par la boisson. L'autre se nomme Charette et doit devenir une légende. Hiver 1792...