XXIII

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- Le carnet... Papa est peut-être dedans. Et s'il était dedans, qu'est-ce que cela signifierait ? Peut-être que cela me dirait où il se trouve. Il est là, le carnet. J'ai déjà lu tout cela. Mais cela ne suffit pas. Comment on écrit Henri Devis, déjà ? Ah, oui, je me souviens. H.E.N.R.I. D.E.V.I.S. Comme moi, Grégoire Devis. Il faut tourner la page. Pas là, ce n'est pas lui.

L'enfant avait un petit air affolé. Disparu. Disparu où ? Il fallait retrouver papa. Et si c'était fini ? Et s'il ne reverrait plus jamais son papa ? Devrait-il rester toute sa vie avec oncle Jo ? Il ne voulait pas rester toute sa vie avec oncle Jo. Si c'était comme cela, il partirait. Il irait à Paris, à l'Opéra Garnier où il jouerait du violon et chanterait. On l'acclamerait. Et il serait heureux. Mais Marie l'accompagnera. Elle est gentille, Marie.

Tout à ses pensées, Grégoire s'était levé. Et seule petite silhouette perdue au milieu de l'agitation matinale, il ne vit pas le regard sévère qui l'observait. Il serra le carnet contre lui, ramassa ses affaires dans un baluchon et chercha Marie. Comme il ne la voyait pas, il entra dans les bois juste à côté pour monter dans un arbre et voir la scène d'un peu plus haut. Mais le regard sévère suivit son mouvement et lui bloqua la sortie des bois. Le regard sévère était une ombre noire et sinistre. Elle fit peur à l'enfant qui prit le seul chemin qui lui restait pour fuir, et s'enfonça dans les bois, loin des autres. Seul.

- Si tu me donnes ce carnet, je t'oublie, je te laisse tranquille et je repars.

Une main épaisse avait attrapé l'enfant, et cette voix grave soufflait à son oreille. Mais l'esprit affolé de Grégoire ne voulait pas donner ce carnet. Il n'aurait pas sû dire pourquoi... Peut-être parce que inconsciemment, il avait toujours associé ce carnet à son papa. Tant qu'il n'aurait pas retrouvé ce-dernier, il lirait ce carnet.

Le garçon savait se transformer en petite anguille. C'était sa manière à lui de se défendre. Il glissa entre les mains pataudes de Regard Sévère et détala à toutes jambes.

- Reviens ici ! Entendit-il crier.

Pourquoi s'acharnait-on toujours à le poursuivre ?

- Je veux papa.

Il allait vite, Grégoire. Certains disaient même qu'il était le plus rapide de tous ceux de son âge. Mais l'homme avait de grandes jambes.

- Laissez-moi, cria-t-il au bord des larmes en sautant un ruisseau.

Le carnet le brûlait toujours. Mais il ne fallait pas le lâcher. Il était sûr de lui, Grégoire. De ces certitudes que les enfants ne savent pas expliquer mais qui leur paraissent plus importantes que tout le reste.

La forêt, ici, rencontrait la falaise. Grégoire se glissa habilement entre les roches et sauta dans l'entrée d'un petit ravin. Derrière, son poursuivant commençait à le perdre. Puis, Grégoire grimpa dans un arbre et s'y installa. Sa respiration se fit plus régulière. Et il se mit à pleurer.

- Mais nous serons plusieurs à te chercher dans ses bois. Tu ne pourras pas nous échapper. Et je te retrouverai, gamin !

L'écho se répercuta en mille et mille fois. Les feuilles tremblèrent et s'envolèrent jusqu'au sol. Et un vent fort se leva.

- Je te retrouverai, gamin, gamin, min, in, in... Je te retrouverai...

- Mais moi, murmurait l'enfant, je n'ai que dix ans. Je ne veux pas qu'on me fasse de mal. Ils m'ont retrouvé. Mais la vie est belle, n'est-ce pas ?

Il regardait ses mains, absorbé par sa discussion avec elles.

- Elle est pleine d'espérance, la vie. Espérance... Oui, vous avez raison. Je vais chanter. Mais doucement, parce que sinon le monsieur va revenir.

Le front penché sur la terre, j'allais seul et soucieux.

L'enfant sauta de son arbre et pencha sa tête blonde vers ses pieds, imitant les paroles.

Quand résonna la voix claire d'un petit oiseau joyeux.

- J'ai faim. Où sont les autres ?

Il disait : reprends courage, l'espérance est un trésor.

- Je crois que je suis perdu. Et l'homme va revenir. Avec d'autres. Et papa n'est pas là. Disparu. Qu'est-ce que cela veut dire, disparu ? On ne peut pas disparaître.

Même le plus noir nuage a toujours sa frange d'or.

- Est-ce que cela veut dire qu'oncle Jo aussi a une frange d'or ? Alors, elle doit être bien cachée, parce qu'il est odieux avec moi.

Grégoire s'assit sur une pierre pour se perdre dans ses pensées. De toute façon, il était perdu.

- C'est de sa faute, si je ne l'aime pas. Il boit. Il me bat. Je ne veux plus le voir. Je crois que c'est faux. Il y a des personnes qui n'ont pas de frange d'or. Désolé, petit oiseau, mais tu as tort. La nuit tombe. Où est-ce que je peux dormir ?

Mais il partit vers le père et jamais ne le revis.

- Pauvre petit oiseau.

Je me penchais sur la terre, et la contemplais ravi.

- Ce sont de jolies paroles. J'aurais bien aimé que Marie soit avec moi.

Car il n'est que l'espérance pour animer notre cœur

Qui de nos plus noires souffrances sait toujours être vainqueur.

La tête blonde se posa sur la mousse et les deux petits yeux bleus ne tardèrent pas à se fermer. Enfant des bois, enfant des chants, enfant en or. Mais la vie récupérait son cœur et le transformait en adulte. Les bois se refermaient sur lui. Jean voulait son carnet. Jean mettait tous ses moyens pour récupérer ce carnet. Et il venait dans ses bois, avec des torches et des hommes. L'enfant était immobile sur la mousse, dans un rayon de lune. Et à Noirmoutier, c'était l'affolement.

Qui de nos plus noires souffrances sait toujours être vainqueur...

L'enfant se réveilla vers le milieu de la nuit. Il comprit vaguement le danger à rester ainsi exposé à tous les vents, et vint s'endormir au creux des fougères.

Mais son ange veillait. Son ange était grand, gros, inquiet. Il avait autrefois aimé boire. Et maintenant, une promesse l'en empêchait. Son ange au comble de l'anxiété prit sa pélerine et sa lanterne et retraversa le passage du Gois.

Même le plus noir nuage a toujours sa frange d'or.

L'Enfant en or et l'ivrogne en alcoolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant