- Ils ont disparu. Tous les deux. Qu'est-ce qu'on peut faire ?
Hélène s'affolait. En s'appercevant de l'absence de Jo, son premier réflexe avait été de courir voir Nicolas. Mais ni l'un, ni l'autre ne savaient où avaient disparu l'enfant et le paysan.
- Savez-vous ce qu'ils veulent à Grégoire ? Intervint Charette que cette histoire intriguait.
- C'est une histoire de carnet, expliqua Hélène. Mais je ne sais pas de quoi il s'agit.
- Moi, je sais maman ! Grégoire m'a tout dit.
- Marie ?
- Oui, c'est un carnet dans lequel il y a marqué plein de noms ! Et le titre est un truc bizarre... Un peu comme : liste des infiltrés à l'adresse de Robespierre.
Il y eut un moment de blanc. Puis Charette questionna lentement :
- Infiltrés ? En es-tu sûre ?
- Eh bien, c'est ce dont je me souviens.
- Il faut retrouver Grégoire. Et ce carnet. Ce maudit carnet ! Jo et lui sont en danger. S'affola Charette.
- C'était donc ça... Murmura Nicolas pour lui-même.
- Ça, quoi ?
- Hum... Je ne sais pas si je dois dire qui je...
- Qui vous êtes ? Intervint Charette suspicieux.
- C'est que... Vous ne me croirez peut-être pas. Mais autant prendre le risque (j'aime les risques). Monsieur de Charette, j'étais soldat sous les ordres du citoyen Jean, espion à la solde de Robespierre à qui il semblerait que Grégoire ait dérobé ce carnet.
- Ah.
- Et vous devez certainement vous demander pourquoi je vous dis tout cela et si je suis fiable.
- Si c'est le vérité et que vous êtes toujours un bleu, je ne vois pas pourquoi vous m'auriez révélé tout ceci. C'est donc que vous avez changé de camp.
- Me croiriez-vous, monsieur de Charette, si je vous disais que c'était en souvenir de ma belle amitié avec Jo ?
- Que savez-vous ? C'est tout ce qui m'importe.
- Le titre doit vous laisser deviner la chose. J'ai entendu parler de ce carnet par un ami. Il m'a expliqué que pour attraper ces bandes insaisissables de Vendéens, Jean avait eu l'idée d'y faire entrer une foule d'espion. Robespierre a demandé il y a quelques temps un rapport précis et Jean a rédigé cette liste. Elle est unique. Elle est précieuse. Elle est diablement utile entre nos mains.
- N'invoquez pas le Diable. Cette liste m'intrigue mais je vous avouerai que ma priorité est de sauver cet enfant et son oncle.
- Vraiment ? Ironisa Nicolas.
- J'ai découvert il y a peu que c'étaient des êtres hors normes.
Mais tandis qu'ils discutaient de la sorte, Marie s'était reculée pour aller vers la mer. Sa mère la suivit peu de temps après en cherchant à comprendre ce qu'elle avait. Elle comprit rapidement que sa fille pleurait et en fut bouleversée.
- Oh ! Marie !
- Dis, il ne va pas mourir, Grégoire ?
Elle sanglotait en laissant ses épaules tressauter. Hélène qui n'avait pas l'habitude de la voir ainsi se trouvait toute désemparée.
- Mais non, il ne va pas mourir. Son oncle est parti le chercher.
- Mais il est méchant son oncle !
- Ne t'inquiète pas, ma chérie. Ne t'inquiète pas.
Et elle la berçait dans ses bras. Le regard rivé vers la terre ferme qu'on appercevait tout juste, en face.
- Tu l'apprécies tant que cela, Grégoire ?
Et Marie n'eut qu'à fermer les yeux pour retrouver le doux son de sa voix. Et ses yeux pétillants. Et son sourire franc.
Son sourire... Il ne souriait plus ces derniers temps. Sa voix douce... Pourquoi le ton se faisait-il mélancolique ? Il semblait qu'il lui échappait déjà. Déjà ! Pour se livrer tout entier à la musique.
- Tu ne veux pas danser avec moi, maman ?
La question surprit Hélène qui attendait toujours sa réponse. Pourquoi détourner le sujet ? Qui était vraiment Grégoire ? Ou plutôt : que deviendrait-il ?
- Et son oncle ? Murmura la jeune femme pour elle-même en saisissant la main de sa fille et en tournant avec elle.
Elles étaient toutes les deux près de la mer, éloignées des autres. Seules contre tous les autres. Mais il y avait ces deux hommes qui faisaient battre leurs cœurs de manière étonnante. Deux hommes seuls. Deux femmes seules.
- Pourquoi tu t'arrêtes de danser, maman ? Moi je ne voudrais jamais m'arrêter de danser.
Les pieds se reposèrent sur la pointe et les jambes s'élancèrent pour exécuter un ravissant saut de biche. Les bras levés au-dessus de sa tête en une gracieuse parabole donnaient au mouvement une allure plus esthétique. Elle était belle, Marie. Et les larmes coulaient toujours le long de sa joue.
- Papa est mort et Grégoire a disparu.
Hélène écoutait tout d'un air rêveur. Ce bougre d'ivrogne accomplirait-il cet exploit de ramener l'enfant perdu ? Le contraste de la médiocrité des vertus de Jo et de son désir de grandeur était saisissant. Et elle le fascinait. Elle s'était toujours estimée "comme il faut", et ressentait soudainement la honte de ne pas avoir ce courage extraordinaire qui animait Joseph Audence. Hélène se maudissait de ses préjugés et se promettait de mieux accueillir le pauvre paysan, s'il revenait...
Mais une pensée vint effleurer son esprit. Avait-elle le droit de laisser ses sentiments divaguer ainsi ? Jacques, son mari, n'était pas mort depuis longtemps. Et elle l'avait aimé autant que cela se peut. Il possédait de grandes qualités : travailleur, honnête, gai et rieur... Comme il fallait. Le temps et la distance effaçaient déjà les traits de caractère qui rendaient Jacques si unique. Tous ses sentiments laissaient place à cette étrange fascination pour l'âme en travail de Jo.
- Je voudrais le revoir.
Et comme si ces paroles lui faisaient prendre conscience...
- Oh oui ! Je voudrais que Jo soit là.
Et elle entraîna sa fille vers le campement. Un groupe s'en allait déjà. La mission avait été décrétée importante depuis que l'on connaissait l'existence de ce carnet. Et Nicolas partait avec le groupe.
- Peut-être serons-nous inutiles, lança-t-il à Hélène en talonnant sa monture, mais si mes anciens amis retrouvent Grégoire, nos épées gagneront en importance !
Et le groupe s'élança. Nicolas sentait battre en lui le désir de prouver au monde sa vigueur et sa force.
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L'Enfant en or et l'ivrogne en alcool
Historical Fiction- Guerre de Vendée et Révolution Française - Un ivrogne et un enfant Été 1792 Deux hommes dans une auberge se croisent. L'un est ivrogne et semble condamné à mourir par la boisson. L'autre se nomme Charette et doit devenir une légende. Hiver 1792...
