XI

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En contournant le pâté de maisons, Jo retrouva le jardin qui se trouvait derrière la maison convoitée. Il escalada rapidement la grille et fit signe à un Grégoire désapointé de faire de même. La grille était haute, l'enfant avait de petits bras, mais devant la mine impatiente de son oncle, il prit son courage à deux mains et tenta d'escalader. Il fut si long qu'en parvenant de l'autre côté, Jo le gifla.

Ils entrèrent par une porte de service que l'ivrogne enfonça d'un coup d'épaule. La maison était obscure, un peu trop silencieuse, riche. D'épais tapis oriental recouvraient le sol dallé. Du mobilier en bois, Louis XV, ornaient la pièce. De larges fenêtres aux rideaux lourds et brodés agrémentaient les murs.

- Ça pue le luxe, maugréa simplement Jo en fouillant la pièce du regard.

Il attrapa son neveu par le bras et le conduisit vers une fenêtre qui donnait sur la rue.

- Toi, reste ici et surveille.

- Surveiller ?

- Si le propriétaire revient, imbécile !

- Et...

- Tu siffles, s'il vient. Tu sais siffler ?

- Je... Je crois...

L'enfant mis deux doigts dans sa bouche et souffla. Un faible son en sortit qui fit ricaner l'ivrogne :

- Tu ne sais décidément pas faire grand chose !

- Je sais chanter.

- Eh bien, tu chanteras. Tant pis.

Jo fila vers les caves, les yeux brillants de désir et d'excitation. Il laissa l'enfant à moitié éberlué par ce qu'il se passait. Il ne comprenait pas bien, Grégoire. Il avait du mal à deviner que ce qu'ils faisaient étaient mal et dangereux. Il regardait la rue noire et tranquille en tentant de refouler le sentiment de malaise qui l'envahissait doucement. Il avait presque envie de pleurer. Mais il ne pouvait pas : il lui fallait être un homme fort. Alors, il fermait les yeux et sifflait entre ses dents :

- C'est du vol, je crois. Non, je ne dois pas me tromper. Du vol pour de l'alcool. Je... Je ne veux pas être complice.

Il se retourna vers la pièce en sentant un début de fièvre le gagner. Toutes ces richesses... Que de mystères ! Ses yeux aussi se mirent à briller fièvreusement. Il voulait voir, il voulait découvrir. Insatiable curiosité.

- Ce n'est pas du vol. Je regarde, tout simplement. Ce n'est pas tous les jours que je peux visiter une maison comme celle-ci. Voyons voir.

Ses doigts effleurèrent le mur, un frémissement. Il touchait l'interdit et cela l'excitait. Un mince rayon de lune éclairait la pièce, refleté et intensifié par les meubles polis à l'excès, les vitres et les miroirs. C'était mystérieux. Grégoire voulait percer ce mystère.

Quelques livres traînaient. Des feuillets volants. Des carnets. Un intellectuel ?

Grégoire avait appris à déchiffrer les lettres dans son école. Il avait même été le meilleur de sa classe. Aussi, c'est sans trop de difficultés qu'il parvint à lire sur un carnet récupéré entre deux livres dans la bibliothèque : listes des infiltrés à l'adresse de Robespierre. Grégoire avait écouté ses parents, son oncle et les gens autour de lui. On n'aimait pas Robespierre. Il paraissait même que Robespierre voulait tuer Dieu, c'était un grand méchant loup.

Liste des infiltrés à l'adresse de Robespierre. Que voulait dire infiltrés ? Il y avait des mots compliqués.

L'enfant ouvrit le carnet et découvrit une liste assez considérable de noms, prénoms et numéros. Ce carnet l'intriguait.

- Et s'il y avait le nom de papa ? Murmura le garçon dans un frémissement d'excitation.

Il se mit à fouiller frénétiquement les pages et s'assit même dans un confortable et profond fauteuil - ce qu'elle était bien cette maison ! L'heure tournait tandis qu'il parcourait du doigt les listes des noms. Il oubliait tout, l'enfant. Il déchiffrait. Tic tac

Dans la cave, l'ivrogne avait trouvé son bonheur.

La maison était toujours aussi calme, trop calme.

On entendait à peine le vent dehors. Et la claquement des pas des chevaux sur le pavé des cours.

Grégoire lisait, déchiffrait. Excité.

Tic tac. Et le temps passait.

Le nom de son père n'apparaissait toujours pas. Jamais.

Les yeux de Grégoire brillait, pris d'une soudaine fièvre. Ce carnet... Il sentait le mystère. Les noms tournaient dans son esprit en une danse toujours plus rapide, entraînante, endiablante, infernale.

Les claquements des pas sur le pavé de la rue. Le cliquetis de la porte. Quelqu'un rentrait.

En deux bonds, Grégoire fut debout et rangeait le carnet dans la saccoche qu'il portait sur le côté. Il sentit son cœur battre la chamade. Quelques notes en l'air... Une mélodie aigüe qui devait percer jusqu'aux murs épais de la cave, mais une mélodie sublime, qui étonna quelque peu l'homme derrière la porte qui s'escrimait avec la serrure.

- J'ai le temps, souffla Grégoire en se précipitant vers une table qu'il poussa en travers de la porte.

Des pas lourds résonnèrent dans les escaliers. L'ivrogne avait bu. Il fonçait dans tous les murs et en apparaissant au rez de chaussée où se trouvait le salon, il renversa tous les bibelots possibles et inimaginables avant de trouver la porte de la cour de derrière et de s'y engouffrer à la suite de son neveu.

La porte principale n'avait toujours pas cedé, mais cela ne saurait tarder.

Jo avait rempli sa besace de bouteilles de vins. L'ivresse et ce poids nouveau l'empêtraient dans sa course. Ils parvinrent à la grille. Comment l'escalader ? Grégoire monta le premier et demanda à son oncle de lui passer son sac. Puis il l'aida dans son ascension en le guidant pour trouver des prises. Sous l'effet de l'adrénaline, Jo allait assez vite. Il passait de l'autre côté quand deux hommes sortirent de la maison.

- Venez, oncle Jo, intima l'enfant en attrapant la grosse main grasse.

Il fallait courir dans les rues de Cholet que ni l'ivrogne, ni le garçon ne connaissait. Il fallait fuir, et vite. Si seulement Jo n'avait pas bu ! Il fallait s'échapper.

La nuit les enveloppait et les trompait tout à la fois. Le silence faisait résonner le battement de leur course sur les pavés. Les deux hommes les poursuivaient toujours.

Grégoire et Jo aussi étaient deux : un gamin de dix ans et un ivrogne.

L'Enfant en or et l'ivrogne en alcoolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant