Opération J-8

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Malgré le fait que Washington soit la capitale des États-Unis, la ville la plus importante est New York, ville aux multiples visages, où se côtoient pauvres et milliardaires (à petite échelle, étant donné l'esprit sectariste américain). Peel s'était rendu seul dans la ville, à la grande surprise d'Astown, qui avait l'habitude de l'accompagner partout (au point que certains se demandaient si l'inspecteur savait conduire).

Peel avait besoin d'être seul cette fois. Son assistant, bien qu'au courant de beaucoup de choses sur son supérieur, n'était pas encore initié aux grands mystères de ce monde, même si le moment viendrait bientôt pour lui.

Le plan de Peel avait reçu une critique presque unanime de la part de ses subordonnés : comment garantir que le Dévoreur se montrerait ? À son équipe, il avait répondu « ne vous inquiétez pas pour ça », à la direction, il avait répondu « je demanderais de l'aide... ».La plus grande partie des gradés sachant très bien à qui il demanderait cette aide.

Il se dirigea vers la zone industrielle. Remontant les rues, il chercha à se remémorer l'adresse exacte. Le trafic était assez dense, et les autres conducteurs peu courtois. L'inspecteur comprenait pourquoi même le flegme anglais d'Astown était tant mis à l'épreuve au volant.

Enfin, il trouva ce qu'il cherchait. La façade indiquait un atelier de ferrailleur, ce qui n'était pas faux, même si les activités du lieu étaient plus variées.

Peel entra, sans saluer aucun des employés qu'il rencontrait. C'était le premier code, indiquant qu'il connaissait les véritables activités du lieu. Il entra dans une bâtisse, assez usée, et s'approcha du comptoir. Le caissier, un jeune noir, releva la tête en l'entendant entrer, et lui demanda poliment :

- « Bonjour Monsieur, que voulez-vous donc ? »

- « Je viens voir votre supérieur, un ami à moi », répondit l'inspecteur, tout en formant un triangle avec les mains. C'était le second code.

« Très bien », répondit son interlocuteur, « je vais prévenir ».

Il se baissa, et appuya sur une sonnette, sous le comptoir. Il y eut un tintement dans l'arrière boutique, et au bout de quelques secondes, un autre employé vint, un jeune latino, vêtu d'une salopette bleue. 

- « Suivez moi je vous prie », dit-il très poliment.

Il lui emboîta le pas, passa un rideau, puis une porte, et arriva dans une cour, où l'attendait une jeune femme.

Celle-ci était à la fois étrange et magnifique. Étrange à cause de sa couleur de peau, rose, mais d'un rose vif, pas un beige rosâtre que l'on peut trouver sur la peau des « blancs », même après un coup de soleil. Ce rose était une couleur qu'on se serait plutôt attendu à retrouver sur des vêtements pour jeune fille. Mais mis à part cette étrange couleur, cette femme était très belle : un visage fin, aux pommettes hautes, un petit nez, de grands yeux bleu clair, et sous sa veste et son pantalon, on pouvait deviner des formes parfaites. Peel était toujours saisi de la beauté de cette femme, bien que cela fasse six ans qu'il la connaissait.

Le jeune latino porta la main sous sa salopette, et en sortit un revolver. Simple sécurité et respect de la procédure, puisque le sourire de la femme indiquait qu'elle connaissait le visiteur . Ce dernier sortit de sous sa chemise un pendentif qu'il portait autour du cou, une pièce triangulaire, orné de (fausses) pierres. En soi, l'objet n'avait aucune valeur, mais c'était la dernière partie du code : présenter un bijou représentant un triangle, ou de forme triangulaire.

- « Contente de te revoir Jeffrey, ça faisait longtemps », lui dit la femme.

- « Moi aussi je suis content de te revoir Talasa ».

Elle congédia le latino d'un geste, et ouvrit une porte de l'autre côté de la cour. Peel la suivit, tout en discutant avec sa vieille amie, qu'il n'avait pas vue depuis plusieurs mois.

- « Au fait », demanda l'inspecteur, « Shapher n'est pas là ? »

- « Non, il est à Paris, il reviendra demain ».

Shapher était le demi-frère et partenaire de Talasa. Lui aussi était un ami, et l'inspecteur se promit de boire un verre avec lui quand il en aurait l'occasion.

- « Quand j'ai appris pour cette histoire de Dévoreur, j'ai su que tu viendrais ici ».

- « C'était inévitable », soupira l'inspecteur, « je ne peux pas m'en occuper sans aide. Mais cette créature vient manifestement de ''l'extérieur'', donc ne va t-elle pas être éliminée ? »

Talasa réfléchit un instant.

- « Elle ne viole pas le Principe fondamental, donc je suppose que non ».

- « Donc il va falloir compter sur mes forces...Peux-tu tout de même m'obtenir un peu de soutien ? »

- « De quoi as-tu besoin ? »

« Que tu m'épouses », songea un instant Peel, mais il repoussa cette pensée.

- « De quelque chose pour attirer le Dévoreur, d'un appât fiable ».

De nouveau, son interlocutrice garda le silence, et ferma les yeux. Ce que lui demandait son ami était raisonnable, mais elle avait besoin de réfléchir à ce qu'elle ferait exactement. Quand, au bout d'une minute, elle eut une idée solide, elle reprit la parole.

- « Ce sera sous forme liquide, et devra être ingéré par un être vivant. Le Dévoreur sera attiré par lui à plusieurs centaines de kilomètres de distance. Je pense que je pourrais te le faire livrer à ton bureau d'ici deux ou trois jours ».

- « Si vite que ça ? » s'étonna l'inspecteur.

- « Ce n'est pas compliqué, j'ai du bon matériel sous la main, et vu la créature en face, on ne devrait pas me reprocher de les utiliser ».

Peel remercia chaudement son amie, et lui promit d'être prudent quand il serait face au monstre.

- « Au fait, ton assistant là, Astown ».

- « Oui ? »

- « Quand comptes-tu l'initier aux Secrets ? »

- « Quand cette affaire sera finie je pense ».

Talasa sourit.

- « Tu penses qu'il le prendra comment ? »

- « Bien, c'est un garçon solide ».

Alors que Peel était sur le point de prendre congé de son amie, elle sembla se remémorer quelque chose.

- « J'ai quelque chose à te dire. Vu que tu es déjà bien occupé avec le Dévoreur, tu ne seras sans doute pas embêté avec ça, mais je pense que ça t'intéresseras ».

- « Dis-moi donc... »

- « Le Faiseur de larmes s'est manifesté. Il n'est pas impossible qu'on parvienne à le tracer, et alors, il y aura sans doute une grosse opération. D'ailleurs, si tu parviens à régler rapidement le cas du Dévoreur, tu pourrais sans doute être affecté aux enquêtes sur lui ».

Peel hésita.

- « Je ne sais pas si j'ai envie de travailler sur ça...Que pourrais faire un pauvre petit inspecteur comme moi ? J'ai arrêté les opérations de terrain depuis plusieurs années .»

Talasa éclata de rire.

- « Tu es toujours l'un des meilleurs...Et au moins, lui, il ne risque pas de te manger ».

Le DévoreurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant